HÖLDERLIN FRIEDRICH (1770-1843)
Waltershausen-Iéna : “Hypérion”
Schiller n'est pas seulement l'inspirateur poétique de toute une génération. C'est aussi le mentor proche : un Souabe qui soutient les Souabes dans le monde des lettres allemandes, qui les présente au grand Goethe, leur ouvre les colonnes des revues. Par son intermédiaire, Hölderlin obtient sa première place de précepteur, à Waltershausen, chez la baronne Charlotte von Kalb, une femme passionnée, “titanide”, éprise de poésie. Il y prend ses fonctions à la fin de 1793, tâche naïvement d'éduquer le jeune Fritz, lit Kant et Rousseau, travaille à son roman. En novembre 1794, il part en compagnie de son élève Fritz von Kalb pour Iéna, où il suit les cours de Fichte, rencontre Goethe – sans le reconnaître – et certains des poètes qu'on dira ensuite romantiques. À certains égards, bien qu'il soit passé du côté des pédagogues, il refait un apprentissage profane, sinon laïque. Fichte traîne après lui une réputation sulfureuse, enflamme ses auditeurs. Mais, au début de l'été de 1795, Hölderlin s'enfuit, littéralement, d'Iéna, rentre au pays... et regrette son départ. Entre-temps, grâce à l'hospitalité littéraire de Schiller, il avait publié dans la revue Thalia un premier fragment de ce qui devait être son œuvre achevée la plus connue en son temps : Hypérion, dont la version complète paraîtra en deux livres chez Cotta quelques années plus tard (1797-1799). Il s'agit d'un roman par lettre, censé se dérouler en 1770, quelque part entre l'Allemagne, la Grèce et l'Asie Mineure, et classé par les bibliothécaires dans la rubrique roman philosophique...
Hypérion, “celui qui va au-dessus”, est un jeune Grec qui vient de séjourner quelque temps en Allemagne et rentre en Grèce, d'où il écrit à son ami, un Allemand curieusement nommé Bellarmin. Il lui raconte sa jeunesse. La nature où il a grandi, son maître Adamas, qui lui a enseigné les sciences de la nature, la mythologie, la philosophie et qui a su le gagner aux vertus de l'antique peuple grec, sa rencontre avec Alabanda, un aventurier entré en lutte pour la libération de la Grèce, son amour pour Diotima, qui incarne toutes les qualités de la Grèce antique, et l'initie à sa véritable mission : être l'éducateur de son peuple. Quand éclate la guerre russo-turque, il rejoint Alabanda, mais les méthodes “manipulatrices” de ce dernier le rebutent. Gravement blessé, il songe à se retirer dans les Alpes ou les Pyrénées avec Diotima, mais celle-ci meurt d'un mal mystérieux. Il quitte alors la Grèce et vient en Allemagne, où il est déçu par la superficialité, l'esprit de querelle obtus et froid, la barbarie invétérée des Allemands. Hypérion retourne en Grèce, où il vit en ermite, en harmonie avec la nature et dans le souvenir de Diotima. Le seul espoir qui subsiste s'est construit autour de la leçon de tous ces voyages : les dissonances du monde sont comme les querelles des amants, grosses de la paix et de la réunion de ce qui a été séparé.
Diotima n'est pas seulement la Diotima du Banquet de Platon. C'est aussi Suzette Gontard, l'épouse du banquier de Francfort chez qui Hölderlin a trouvé son second emploi de précepteur dans les derniers jours de 1795. Le grand amour impossible de son existence, qui finit par causer son départ forcé de Francfort. Suzette Gontard, née Borkenstein, descendait d'une famille de huguenots. Sa liaison avec Hölderlin se noua à la faveur d'un voyage à Kassel rendu nécessaire par l'avancée des troupes françaises, que la famille Gontard, sans le banquier, effectua en compagnie du romancier Heinse, l'auteur célébrissime du roman Ardinghello, ou les Îles bienheureuses. En septembre 1798, cette liaison, qui faisait jaser les salons jusqu'à Berlin, devint insupportable au[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre LEFEBVRE : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, docteur, maître de conférences à l'École normale supérieure
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