Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

HÖLDERLIN FRIEDRICH (1770-1843)

“La Mort d'Empédocle”, “Odes”, “Hymnes”, “Élégies”

Il est vraisemblable que cette “histoire” influença indirectement le développement de son unique projet dramatique “propre”, La Mort d'Empédocle : tragédie politique de l'homme qui refuse le trône que lui offrent ses concitoyens, mais aussi tragédie de l'homme fasciné par l'engloutissement dans la mort et le retour à l'élémentaire. Hölderlin y travailla pendant son premier séjour à Homburg, cette “colonie d'aventuriers”, où il devait retrouver plusieurs intellectuels fortement politisés : Isaac von Sinclair, Siegfried Schmid, Ulrich Böhlendorff...

D'Empédocle, il existe trois versions fragmentaires, inégalement longues, qui montrent la lutte que mène l'auteur avec le sens même de l'histoire d'Empédocle d'Agrigente, médecin, philosophe “pré-socratique”, archétype du révolutionnaire renversant un roi pour instaurer la république, qui se jeta dans l'Etna, d'où ne serait revenue que sa sandale... Dans ces trois fragments, Hölderlin “travaille” les raisons mêmes du suicide d'Empédocle, “ennemi mortel de toute existence bornée...” : châtiment d'un coupable sentiment de supériorité par rapport à la nature, retour volontaire et libre à l'origine, enfin, plus près de la légende, sacrifice allégorique censé contraindre les citoyens d'Agrigente à devenir “politiquement adultes”. Car “ce n'est plus le temps des rois”. Il est temps de devenir citoyen, de savoir s'affranchir du passé, de la tradition, de lever les yeux vers “la divine nature”. La genèse de cette tragédie jamais achevée est peut-être liée indirectement à l'observation à distance de la carrière de Bonaparte en France. Elle reprend les questions politiques du temps. Il semble aussi que l'influence de Jean-Jacques Rousseau (y compris de sa biographie d'homme persécuté) joue un rôle très important dans la genèse des trois versions.

Avec le départ de Homburg s'achève une période de l'existence de Hölderlin encore ouverte sur des sens différents, des voies nouvelles. Commence alors une sorte d'errance tragique jalonnée par des “embauches” dans des villes de travail : un poste apparemment agréable à Stuttgart chez le négociant en textile Christian Landauer, puis un emploi de trois mois, tout l'hiver de 1801, dans la famille (nombreuse) d'un industriel suisse à Hauptwil, un peu au sud du lac de Constance, d'où il ramena de grands poèmes sur les Alpes, enfin un long séjour chez sa mère, à Nürtingen, avant le départ en décembre 1801 pour une nouvelle place de précepteur, cette fois en France, à Bordeaux, chez un négociant en vin consul de la ville de Hambourg.

Mais les cinq années qui précèdent le voyage en France sont aussi des années d'intense production lyrique : c'est l'époque des Odes, qui deviennent de plus en plus sombres, des neuf Hymnes et des cinq grandes Élégies. On les considère aujourd'hui comme le sommet de l'œuvre de Hölderlin. Elles font de lui le dernier des grands poètes de l'Antiquité, le premier poète grec de l'Allemagne. Elles sont aussi le réceptacle du travail philosophique qu'il n'a jamais abandonné : à Francfort, il a rencontré Schelling et surtout retrouvé Hegel, à qui il avait procuré une place de précepteur. Il reste de ces rencontres un document qu'on n'a pu attribuer avec précision à l'un des trois comparses : Le Plus Vieux Programme de l'idéalisme allemand, où se développe un projet politique fondé sur l'expérience poétique, beaucoup plus hardi et révolutionnaire que celui de Schiller.

Les poèmes de ce temps, notamment les grandes élégies (Comme en un jour de fête, Pain et vin) et l'hymne en vers libres intitulé Le[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, docteur, maître de conférences à l'École normale supérieure

Classification

Média

Friedrich Hölderlin - crédits : AKG-images

Friedrich Hölderlin

Autres références

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par , , , et
    • 24 585 mots
    • 33 médias
    Et Hölderlin enfin (1770-1843). Traducteur de Pindare et de Sophocle, il est parmi tous ces écrivains le seul qui ait vraiment trouvé le contact avec la Grèce antique. Après avoir longtemps pleuré cette Grèce d'autrefois comme un âge d'or perdu, il conçoit une épiphanie nouvelle réservée...
  • ÉLÉGIES ET HYMNES, Friedrich Hölderlin - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 031 mots
    • 1 média

    Parus parfois de son vivant dans quelques revues, mais en grande partie inédits au moment où débuta la seconde « moitié de sa vie » marquée par la folie (1806-1843), les poèmes de Friedrich Hölderlin (1770-1843) ne furent pas d'emblée rassemblés en un recueil ou un cycle achevé. Les difficultés...

  • Fragmente-Stille, an Diotima, NONO (Luigi)

    • Écrit par
    • 762 mots
    Le Vénitien Luigi Nono s'affirme comme un compositeur engagé, conscient des inégalités et des injustices sociales: ses recherches sur l'essence du son, constitutives de sa pensée musicale, sont indissociables de son engagement politique. Son œuvre manifeste sa passion pour la voix, dont témoignent...
  • HYPÉRION

    • Écrit par
    • 281 mots

    L'un des Titans, père d'Hélios (le Soleil), de Séléné (la Lune) et d'Éos (l'Aurore), identifié parfois lui-même avec le Soleil (son nom signifie en grec « celui qui va au-dessus [de la Terre] »), Hypérion n'occupe dans la mythologie ancienne qu'une place secondaire. C'est au temps du...