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NIETZSCHE FRIEDRICH (1844-1900)

Le monde de la volonté de puissance et l'Éternel Retour

En rapprochant la notion de volonté de puissance et celle de vérité, on éclaire les structures de l'interprétation. Mais toute interprétation enveloppe aussi, dans l'unité d'un même texte, l'être-interprété, qui est encore volonté de puissance, dévoilée maintenant comme ce dont il y a interprétation, c'est-à-dire comme le chaos que l'activité interprétative organise pour en tirer un monde. C'est pourquoi Nietzsche indique : « Voulez-vous un nom pour ce monde ? Une solution pour toutes ses énigmes ?... Ce monde est la volonté de puissance et rien d'autre » (XVI, 402).

Le chaos du devenir

L'antagonisme de Parménide et d' Héraclite est au centre de la méditation du jeune Nietzsche à l'époque bâloise, et il restera le fil conducteur de sa théorie de la volonté de puissance. À l'« être » de Parménide, concept glacé qui pétrifie la vie, Nietzsche oppose l'idée héraclitéenne du devenir qu'il pense en connexion avec les thèmes de la vitalité, du changement, du perpétuel mélange des contraires. Le cogito ne nous livre qu'un flux d'images, de pensées et de souvenirs – tandis que le moi, la substance, la causalité sont de simples fictions opératoires. Le devenir ne ressortit donc nullement aux catégories instrumentales que Nietzsche appelle des valeurs, il est bien plutôt cette réalité fuyante que les catégories logiques essayent de stabiliser. L'idéalisme métaphysique est, à cet égard, motivé par le ressentiment contre le devenir, par le besoin de l'abolir.

De cette dénégation il tire le mensonge de l'« être » suprasensible. La destruction de la représentation métaphysique amène à découvert le fond que cachaient les fictions de la substance et du sujet, et ce fond c'est précisément le devenir ! Énumérant les propriétés du réel, Nietzsche cite donc : « le changement, le devenir, la pluralité, l'opposition, la contradiction, le combat » (XVI, 81).

Polémos

Ce devenir irrationnel, n'obéissant à aucune légalité que la science pourrait exprimer en équations et en modèles théoriques, est à la fois un « écoulement probablement absolu » (XII, 30) et une lutte que se livrent la multitude des centres de domination entre lesquels se distribue la volonté de puissance qui, ainsi, n'existe jamais que sous la forme de noyaux dynamiques occupés à étendre leur règne le plus loin possible, en se surmontant eux-mêmes.

Chaque force traite les autres comme une matière qu'il lui faut ordonner et assimiler. Car « la relation la plus élevée, c'est encore celle du créateur et de la matière qu'il travaille » (XIV, 81).

Le corps reproduit, dans sa sphère privée, cette image polémique du chaos des forces. Ici les forces à étudier sont les instincts. Le moi conscient n'est qu'un poste d'observation psychique pour l' instinct ou le groupe d'instincts qui a réussi à se hisser au pouvoir. La structure du corps évoque celle d'un organisme politique. Chaque instinct est simultanément une certaine quantité d'énergie et une subjectivité, c'est-à-dire un foyer de sens, une activité d'interprétation.

La volonté de puissance nietzschéenne est, on le constate, calquée sur l'intuition héraclitéenne de la guerre, du Polémos. Avec elle, Nietzsche intègre également les idées d'Hésiode sur « la bonne Discorde » qui fait régner l'harmonie par le jeu d'une rivalité permanente, et le thème homérique de la « compétition » (Wettkampf) en lequel il a reconnu, d'emblée, le fondement de la culture hellénique et le secret de sa fécondité géniale.

Le Retour Éternel

Le devenir, d'ailleurs, n'est pas seulement un flux qui s'écoulerait selon une ligne allant à l'infini. D'une certaine[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, docteur ès lettres, professeur à l'université de Rouen

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Nietzsche - crédits : Ullstein Bild/ Ullstein Bild/ Getty Images

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