SCHILLER FRIEDRICH VON (1759-1805)
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Poète et penseur, Schiller, le plus jeune et le plus enthousiaste des grands classiques allemands du xviiie siècle, a associé la poésie à une réflexion sur la vie et sur l'art. Historien, psychologue, théoricien de l'esthétique, auteur de récits, de poèmes philosophiques, narratifs (ses « ballades ») ou d'inspiration plus personnelle, et surtout de pièces de théâtre, c'est grâce à son génie dramatique qu'il s'est imposé d'emblée et que sa renommée dure encore aujourd'hui.
Schiller est pourtant un des poètes dont la gloire posthume a le plus souffert des caprices de la mode. Tantôt idole de la nation, tantôt décrié comme étranger au grand courant lyrique de la poésie allemande, célébré par les uns comme le prophète de l'idéal, traité par les autres de moralisateur grandiloquent, il a été souvent imité et souvent, aussi, parodié. Mais il n'a pas cessé d'intéresser la critique : il reste un des auteurs les plus étudiés. À vrai dire, les recherches récentes ont fait apparaître plus d'énigmes que de certitudes ; on n'a pas fini de s'interroger à son sujet.
Il demeure le poète de l'enthousiasme, de l'amitié et de la liberté.
Formation et révolte
Rien dans son milieu familial ne prédisposait Schiller au non-conformisme. La maison de Marbach-sur-le-Neckar où il est né, le 10 novembre 1759, abritait une famille de boulangers presque ruinés. C'est au service du duc de Wurtemberg, comme officier sorti du rang, puis comme intendant des jardins d'une résidence ducale, que son père, Johann Caspar, parvint à une très relative aisance. Quand le poète rompra son contrat avec le duc, il encourra d'amers reproches paternels.
Docile à l'exemple de parents très religieux, environné par ailleurs d'influences piétistes, poussé probablement aussi par un goût inné pour le maniement des idées, pour l'éloquence et la psychologie, Friedrich s'orientait vers les études théologiques lorsqu'un ordre du duc l'écarta à treize ans de cette voie pour le soumettre à une expérience pédagogique. Karl Eugen, despote prodigue, s'était mis en tête de devenir éducateur. Dans l'Académie militaire, qu'il avait créée, il faisait entrer, bon gré mal gré, des adolescents doués, dont il voulait faire des fonctionnaires d'élite. On y appliquait une pédagogie nouvelle, réduisant la part de l'humanisme traditionnel au profit des langues modernes, des sciences et de la philosophie. Les élèves étaient spécialisés de bonne heure : Schiller finit par opter pour la médecine, qui devint vite pour lui un moyen d'étudier l'âme humaine. L'enseignement médical s'encadrait alors de considérations philosophiques ; la psychophysiologie était en vogue. Sous la direction de Jakob Friedrich Abel, professeur de philosophie, Schiller, déjà initié à la métaphysique rationaliste de Leibniz et de Wolff, fut nourri de la psychologie de son temps, notamment de celle des philosophes anglais, A. Shaftesbury, A. Ferguson, H. Home (Lord Kames) et de penseurs allemands comme Lessing et M. Mendelssohn. C'est Abel également qui lui fit découvrir en Shakespeare un maître de la science de l'âme. Tout cet acquis orientera et alimentera ses œuvres de jeunesse et restera par la suite une des sources de son inspiration. Il est utilisé dans les deux dissertations médicales : Philosophie de la physiologie (1779) et Essai sur la connexion de la nature animale et de la nature spirituelle de l'homme (Versuch über den Zusammenhang der tierischen Natur des Menschen mit seiner geistigen, 1780) ; Schiller y affirme la solidarité de l'âme et du corps ; elle régit les émotions et, par suite, les actes ; elle est source d'harmonie ; contrariée ou mal orientée, elle aboutit à des catastrophes.
Schiller rongeait son frein à l'Akademie. Il fut très déçu d'en sortir comme médecin militaire avec le rang de sous-officier et un traitement dérisoire. La rupture se consomma quand, à la suite d'un voyage sans autorisation à Mannheim, il se vit interdire toute activité littéraire. Ce fut alors l'évasion (1782) et l'exil, la perte de toute sécurité matérielle et des années de soucis financiers, bientôt aggravés par la maladie. Quant au ressentiment contre le duc, il inspirera, dans Intrigue et amour, la satire violente d'un régime fort semblable à celui du Wurtemberg sous Karl Eugen.
Schiller était encore à Stuttgart lorsqu'il livra au public son premier drame, Les Brigands (Die Räuber, 1781), tout plein des idées et des frémissements de son adolescence. On y trouve une illustration des thèses de psychophysiologie développées dans les dissertations. Le culte de la liberté, la haine du despotisme, l'interrogation métaphysique et l'antimatérialisme, la révolte contre une société livrée aux ambitieux sans scrupules s'y expriment parmi des réminiscences de Shakespeare et de Klopstock. Le héros, Karl Moor, s'insurge, dès son entrée en scène, contre « la mode », c'est-à-dire tout ce qui contraint la spontanéité de la nature, contre tout ce qu'il y a de factice dans la vie des érudits, des courtisans, des êtres froids et sans âme du genre de Franz, son frère ennemi. Mais, voulant, purger l'Allemagne par le fer et par le feu, Karl se laisse entraîner aux pires excès du brigandage ; il « ébranle l'ordre du monde et la loi morale » ; constatant son échec, il se livre à la justice pour expier cette atteinte à « la majesté des lois ». Le succès des Brigands fut comparable à celui de Werther ; jamais auteur dramatique n'avait exprimé aussi fortement ce qui sommeillait dans les esprits allemands ou se manifestait déjà de façon tumultueuse dans les écrits du « Sturm und Drang ».
Schiller était moins doué pour le lyrisme, et ses poèmes de jeunesse, publiés pour la plupart dans l'Anthologie pour l'année 1782, ne nous touchent guère. Ils sont plus chargés d'emphase que d'émotion vraie et trahissent l'influence de la poésie baroque. Les Odes à Laure mêlent une passion cérébrale et une sensualité factice. Ailleurs, le poète plaide tantôt pour un affranchissement des sens, tantôt pour une vertu stoïcienne ; il célèbre l'amitié, l'amour conçu comme « lien des esprits », invective les despotes et les conquérants, défend la jeune infanticide, évoque aussi bien le sombre Tartare que l'univers infini découvert par la science. Beaucoup d'idées, mais il faudra, pour trouver un accent lyrique personnel attendre des poésies comme Révolte de la passion (Freigeisterei der Leidenschaft) ou Resignation, publiées plus tard (1786).
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Écrit par
- Raoul MASSON : agrégé d'allemand, docteur de l'université de Metz, maître assistant honoraire
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