SCHLEGEL FRIEDRICH VON (1772-1829)
C'est le second des frères Schlegel qui a su véritablement se créer dans le milieu littéraire à la fin du xviiie siècle et au début du xixe une place exceptionnelle. Régénération de la critique littéraire, invention du concept fondamental de l'ironie, interrogation enfin sur la langue et la sagesse des Hindous, tels sont les plus grands efforts que la postérité à retenus de l'œuvre de Friedrich von Schlegel. Ces efforts ont été, en dépit d'une vie tumultueuse et d'innombrables connaissances, chez un homme qui sut nouer les plus belles amitiés, la gloire de Friedrich von Schlegel, et les critiques qui lui sont adressées parfois ne tiennent pas assez compte de la grandeur qui fut celle de cette brève vie.
La critique créatrice
Né à Hanovre, Friedrich von Schlegel, frère cadet du célèbre August Wilhelm von Schlegel, mourut à Dresde. La personnalité du jeune Schlegel mérite quelque attention. À vingt ans, il écrivait à son frère : « Le suicide est une idée quotidienne chez moi depuis presque trois ans. » Dans d'autres lettres, il affirme que tout lui paraît vide, insatisfaisant, répugnant. Toute son existence a été marquée à la fois par les tendances à l'extase qu'éveillent en lui les œuvres d'art et par la claire conscience de la précarité de l'existence humaine. C'est pourquoi, lui qui était peu enclin aux lettres et qui fut placé chez un banquier, se détourna très rapidement de ce métier et reprit le cours de ses études. Il s'attacha d'abord aux sciences juridiques à Göttingen, puis se consacra à la littérature ancienne et moderne. En 1791-1793 il tentait de pénétrer la philosophie, mais il s'intéressait plus à la théorie de l'art et à l'histoire ; pendant cette période, il connut bien Novalis auquel il voua une amitié qui survécut à une rupture. Peu à peu il en vint à la critique littéraire et, exception faite pour quelques travaux, il s'y consacra jusqu'en 1808. Son premier travail très remarqué, publié en 1797, s'intitule Sur l'étude de la poésie grecque (Über das Studium der griechischen Poesie). Tandis que son frère aîné s'était engagé dans la littérature, comme traducteur et comme critique, par goût, grâce à ses dons, pour satisfaire naturellement son activité intellectuelle, Friedrich von Schlegel ne s'y appliqua qu'en raison d'une contrainte intérieure, que par déréliction et souci de se décharger de la condition humaine. Ce premier ouvrage est important à deux points de vue. D'une part il fixe pour longtemps l'attitude esthétique de Schlegel, d'autre part il fait naître l'idée de la critique. On a trop souvent dit que le jeune Schlegel, admirateur de l'Antiquité grecque, était un classique et non un romantique. Le romantisme ne se caractérise pas par un choix du Moyen Âge et de ses ténèbres contre l'Antiquité, mais bien plutôt dans une attitude envers le passé qui engendre une conception nouvelle de la poésie. Dans la perfection de la poésie grecque, Schlegel (comme Hölderlin) découvrait le fruit naturel d'une existence comblée, connaissant la bienheureuse harmonie de la politique, de la moralité, de la religion, de la science et de l'art. La beauté était le bien commun du goût public et non pas l'œuvre d'un individu solitaire. C'est cette totalité de l'existence qui définissait la poésie grecque et qui fournissait en même temps le modèle pour l'appréciation des œuvres d'art. Et l'on a pu soutenir que nul tournant décisif n'intervenait chez Schlegel lorsqu'il s'intéressa quelques années plus tard à l'art gothique.
Mais c'est surtout la forme de l'idée critique qu'il faut retenir. Schlegel a porté sur la critique le jugement suivant : « La poésie ne peut être critiquée que par la poésie.[...]
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Écrit par
- Alexis PHILONENKO : professeur à l'université de Genève
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