UNRUH FRITZ VON (1885-1970)
C'est en 1957, et préfacé par Einstein, que paraît l'un des derniers ouvrages de Fritz von Unruh, un recueil de discours pacifiques intitulé Armés, vous n'êtes guère puissants (Mächtig seid ihr nicht in Waffen). On a reproché à l'auteur l'emploi d'un pathos abusif : l'efficacité du livre en aurait souffert. Pourtant, ce témoignage couronne de manière tout à fait honorable l'œuvre d'Unruh, artiste aux dons certains et divers, puisqu'il était aussi peintre.
Fils d'un général de très vieille noblesse silésienne, il naît à Coblence et partagera l'éducation des enfants impériaux. Au sortir de l'École des cadets à Plön, il entre, comme la tradition familiale l'y incite, dans l'infanterie de la garde, en démissionne pourtant dès 1912 pour se consacrer exclusivement à sa vocation d'écrivain. C'est comme uhlan qu'il prend part à la Première Guerre mondiale, au front et au quartier général. Il rejoint ensuite le mouvement pacifiste et prononce l'éloge funèbre de Walther Rathenau assassiné par les pangermanistes. Sous la pression des événements politiques, il quitte l'Allemagne en 1932 et, après quelque temps passé dans un camp d'internement en France, s'établit en Amérique du Nord, où il demeurera durant la guerre. Il retrouvera plus tard son pays et mourra à Diez-sur-la-Lahn.
Son premier drame, Les Officiers (Offiziere), paraît en 1911. Cette pièce naturaliste en quatre actes relate avec maîtrise les expériences accumulées par Unruh lors de son séjour à l'armée : les officiers gaspillent leur énergie en occupations stériles ; seule, la rébellion des Héréros du Sud-Ouest africain — alors colonie allemande — parvient à les tirer de leur léthargie. Toutefois, sur le front comme ailleurs, les principes d'ordre et de devoir demeurent intangibles : le héros qui cherche à se battre sera confiné dans des tâches administratives loin des lieux d'engagement. La préoccupation essentielle de l'auteur — la recherche d'un homme nouveau — trouve ici sa première incarnation, par l'entremise d'un personnage secondaire, il est vrai.
Dans l'ouvrage suivant, Louis-Ferdinand, prince de Prusse (Louis Ferdinand Prinz von Preussen, 1913) — une série de scènes souplement accolées —, il y va, une fois encore, du devoir, principe autour duquel s'ordonne toute l'œuvre de Unruh jeune. Au départ, le prince, un adolescent et l'idole du peuple, nous est montré dans sa vie quotidienne : on est en 1806, peu avant que ne commencent les guerres de libération. Le prince affronte ensuite son père, le roi Frédéric-Guillaume III, qui ne parvient à se décider ni pour ni contre Napoléon. Aigris par les tergiversations du monarque, les généraux proposent la couronne à Louis-Ferdinand. Celui-ci reste fidèle à son roi, cherche et trouve la mort dans le combat contre l'homme qui foule aux pieds la tradition : l'empereur des Français. Fait significatif, la pièce fut interdite par Guillaume II.
Dans son œuvre en prose, la Marche au sacrifice (Opfergang, écrite en 1916, publiée en 1919), Unruh montre avec plus de netteté encore que dans son poème dramatique Avant la décision (Vor der Entscheidung), ouvrage qui suit de peu la bataille de la Marne, à quel point il a déjà tourné le dos au militarisme. Unruh place son espoir en une époque nouvelle où les hommes seront frères. Sur le plan formel, il appartient au courant expressionniste : son langage est elliptique, truffé de symboles. Son héros, un uhlan, va « au-devant du soleil ». Tant sur le plan de la forme que sur celui du contenu, ces deux livres servent de prolégomènes à la grande trilogie d'Unruh : sa première partie, Une famille (Ein Geschlecht), paraît en 1918 : accompagnée de sa fille et de son fils cadet, Dietrich, une[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Lore de CHAMBURE : professeur à l'École allemande de Paris
Classification