WOTRUBA FRITZ (1907-1975)
Le sculpteur autrichien Fritz Wotruba est né à Vienne. Le métier de graveur d'estampes qu'il apprend très jeune et qu'il exercera quelques années, les cours du soir à l'École des beaux-arts où il dessine d'après le modèle vivant, la copie systématique des dessins de sculpteurs et une année passée dans l'atelier du sculpteur Anton Hanak semblent avoir été les seuls éléments marquants de la formation de cet artiste solitaire, qui élabore ses premiers essais sur la pierre à l'âge de vingt ans dans une baraque louée où il travaille loin de tout maître et de toute discipline. En 1930, deux de ses œuvres sont achetées par la ville de Vienne et, un an plus tard, le musée Folwang à Essen organise sa première exposition particulière. En 1934, les événements politiques obligent le sculpteur, comme nombre de ses compatriotes, à quitter l'Autriche et à s'exiler en Suisse. Il y restera jusqu'en 1945, date de son retour dans sa ville natale, où il assumera jusqu'à la fin de sa vie la direction des classes de sculpture à l'Académie des beaux-arts.
Bien qu'il ait été lié aux plus prestigieux sculpteurs de son temps, en particulier Henry Moore, Giacometti, Germaine Richier, Zadkine, Laurens, Marino Marini, et qu'il ait participé à un grand nombre de manifestations internationales parmi les plus importantes, Wotruba est peu connu en France. Deux expositions seulement lui ont été consacrées de son vivant, toutes deux à Paris, la première en 1948, sur l'initiative de Jean Cassou et de Georges Salles, au Musée national d'art moderne, la seconde en 1961 à la galerie Claude Bernard. Il appartient cependant, bien que plus jeune de quelques années, à la génération d'artistes autrichiens qui comptent parmi les figures les plus marquantes du début du xxe siècle. Comme eux, Wotruba vécut les dernières décennies de la monarchie impériale austro-hongroise, et il mettra en accusation la frivolité et les mille séductions d'un monde artificiel déjà condamné, celui que dénonce Karl Kraus dans son livre Les Derniers Jours de l'humanité et que l'architecte Adolf Loos retrouve dans le cadre même de la vieille capitale, « coulisse emphatique dont l'éclectisme va du carton collé à la pétrification du motif de la valse ».
Ces violentes attaques contre la pseudo-sophistication de l'esthétisme d'une certaine bourgeoisie et d'une certaine époque, auxquelles viendront s'ajouter le refus de tout élément décoratif, une prédilection marquée pour la rigueur dans le choix des moyens d'expression, ainsi que l'esprit de solitude et d'ascèse, sont autant d'éléments que l'on retrouve dans la démarche du musicien Arnold Schönberg, dans celles du philosophe Ludwig Wittgenstein, des écrivains Karl Kraus, Hermann Broch, Robert Musil (Broch et Musil ont été parmi les amis les plus proches de l'artiste) et dans celle de Fritz Wotruba lui-même. Dans une œuvre essentiellement liée au travail de la pierre (les bronzes du sculpteur ont le plus souvent comme point de départ la taille directe de la pierre calcaire) et dont l'évolution montre peu de ruptures, Wotruba s'astreint à une maîtrise rigoureuse et brutale, ainsi qu'à une économie formelle qui refuse tout compromis. À partir d'une technique volontairement archaïque et artisanale qui donne à ses œuvres un aspect mal dégrossi d'architectures élémentaires équarries en larges plans, l'artiste écarte tout ornement, tout détail et par là même toute référence romantique ou expressionniste.
Profondément attaché à l'humain, Wotruba élabore un univers de grandes figures dépouillées et immobiles, aux structures compactes dont la force incontestable réside dans le poids et la densité des volumes et dont les lignes sévères devaient l'amener à une abstraction[...]
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Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
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