FRONT POPULAIRE
L'agonie du Front populaire (juin 1937-novembre 1938)
Le changement de cap du Front populaire puis la crise qui aboutit à sa disparition en novembre 1938 se déroulent selon un processus en trois étapes.
Tout d'abord, les deux ministères du radical Camille Chautemps se succèdent de juin 1937 à mars 1938. Le premier (juin 1937-janvier 1938) se présente comme un gouvernement de Front populaire à direction radicale avec participation socialiste, Léon Blum étant vice-président du Conseil. Mais l'attribution du ministère des Finances au radical Georges Bonnet, adversaire du Front populaire, implique un changement d'orientation et un retour à l'orthodoxie financière. La reprise des grèves qui, à la fin de 1937, gagnent les services publics de la région parisienne, provoque un vif conflit entre le Parti communiste, qui les encourage, et le président du Conseil. Il en résulte le départ du gouvernement, en janvier 1938, des socialistes qui n'entendent pas rompre avec les communistes, et la constitution d'un nouveau ministère Chautemps qui va tenir jusqu'en mars 1938. Ces deux gouvernements sont marqués par l'ambiguïté et l'immobilisme. Ambiguïté, car les Partis communiste et socialiste votent la confiance à ces gouvernements afin de tenter de sauver la coalition de 1936, tandis que la droite vote également pour eux afin de les détacher du Front populaire ; immobilisme, parce que toute mesure trop hardie, dans un sens ou dans l'autre, ferait perdre au gouvernement l'un ou l'autre de ces appuis. Aussi, en dehors de la création de la S.N.C.F. ou des tentatives de mise en place d'un statut moderne du travail afin de substituer l'arbitrage à la grève, les ministères Chautemps ne mettent en œuvre aucune des mesures du Front populaire non encore réalisées, telles que la retraite des travailleurs, la loi sur les calamités agricoles ou l'extension des assurances sociales aux non-salariés. Immobilisme également au niveau de la politique coloniale ou internationale, avec la décision de ne pas faire ratifier par le Parlement le projet Blum-Viollette sur l'octroi de droits de citoyenneté à certaines catégories de musulmans d'Algérie ainsi que les traités d'indépendance de la Syrie et du Liban. Chautemps démissionne le 9 mars 1938 en raison du refus des socialistes de lui accorder les pleins pouvoirs financiers, au moment même où Hitler annexe l'Autriche, événement qui ne lui paraît pas être un motif suffisant pour différer la crise gouvernementale.
La seconde étape (mars-avril 1938) est marquée par le retour de Léon Blum pour succéder à Chautemps, le président Lebrun souhaitant surtout lever l'hypothèque du Front populaire afin de pouvoir laisser la place à Daladier. Or Blum propose non pas un nouveau ministère de Front populaire, mais « un gouvernement d'unité nationale autour du Front populaire » allant « de [Maurice] Thorez à [Paul] Reynaud », afin de faire face à la menace allemande. Il reçoit l'appui des communistes, des socialistes et de quelques élus de droite (les démocrates-chrétiens, Paul Reynaud, Georges Mandel, Henri de Kérillis), mais se heurte au refus de la quasi-totalité des groupes de droite auxquels il s'était adressé, et qui, à l'appel de Pierre-Étienne Flandin, rejettent son offre.
Dès lors, le sort du second ministère Blum est scellé. Le Sénat renversera le gouvernement sur ses projets financiers. C'est donc davantage pour témoigner que pour agir que Blum dépose devant les Chambres un projet de pleins pouvoirs financiers, plus précis, plus cohérent, plus radical que celui de juin 1937. C'est un projet keynésien dont le moteur est la relance industrielle fondée sur le réarmement, un contrôle des changes pour éviter la fuite des capitaux, un contrôle des opérations financières et un impôt sur le capital.[...]
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Écrit par
- Serge BERSTEIN : professeur émérite des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris
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