FRONTIÈRE
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Le mot « frontière » a pour origine l’ancien adjectif « frontier », qui dérive de « front » et signifie littéralement « faire face » ou « être voisin de ». Le terme s’impose à la fin du Moyen Âge au moment où se construit l’État moderne fondé sur un rassemblement territorial qui nécessite l’assignation de limites, permettant l’exercice de la souveraineté politique sur le territoire et sa population. Depuis cette période, les frontières expriment la territorialité du pouvoir de l’État.
Considérée comme fait géopolitique, l’existence de frontières procède d’un jeu d’acteurs politiques impliqués dans des rapports de forces, de négociations et de compromis. Ce processus politique produit un tracé et institue un régime frontalier soit, concrètement, une limite plus ou moins matérialisée et un fonctionnement variable dans le temps et dans l’espace, qui dépend des fonctions attribuées par l’État à la frontière : principalement, une fonction légale d’application du droit de l’État, une fonction fiscale de régulation économique et une fonction de contrôle des flux migratoires. L’existence de frontières crée en outre une contrainte spatiale qui influence les individus dans leur manière de concevoir et de développer des relations avec leurs voisins situés de l’autre côté de la frontière.
Dans le contexte contemporain, les rapports de forces géopolitiques sont mus moins par des logiques de conquêtes que par des logiques de tensions et d’éclatements. Au-delà des conflits, les frontières sont marquées par une évolution paradoxale ou duale. D’un côté, on observe une croissance des échanges et des coopérations par-delà les limites étatiques, ce qui dévalue de fait ou de droit les fonctions de régulation et de contrôle des frontières, même si persistent les repères symboliques et les ancrages identitaires. De l’autre s’affirme un processus de sécurisation des frontières qui se traduit par la multiplication des opérations de contrôle et de mise à distance des individus, et qui renforce de fait ou de droit les fonctions frontalières. La période contemporaine se caractérise moins par le dépassement ou la disparition des frontières que par leur démultiplication sous des formes nouvelles.
La frontière linéaire et le pavage étatique du monde
Aux origines de l’idée de frontière
L’idée de limite ou de frontière n’était pas étrangère aux sociétés primitives ou traditionnelles dans lesquelles la délimitation territoriale pouvait s’accompagner d’une démarcation formelle ou matérielle au sens moderne, appuyée sur un cours d’eau ou des marques dans le paysage ou la végétation, comme des arbres par exemple. Selon les travaux des ethno-sociologues, l’existence de limites signifie que le territoire a une fonction d’identité et de reconnaissance pour les individus. Avant de devenir un instrument technique, elles sont l’expression d’une organisation sociale et religieuse. Chez les Bochimans d’Afrique australe, par exemple, le territoire du groupe est délimité par des frontières symboliques, que chaque membre respecte scrupuleusement. Les limites expriment une relation à la fois organique et spirituelle de la société au territoire, qui fonde le rapport à l’altérité, sans connotation de nature politique.
Le caractère sacré des limites territoriales est observable dans l’Antiquité chinoise ou romaine où l’idée de frontière prenait le sens de limite de civilisation. La construction de murs ou de palissades était conçue comme un moyen de défense militaire, mais aussi de différenciation à la fois spatiale et temporelle par rapport aux « Barbares ». La Grande Muraille construite en Chine vers 215 av. J.-C. contre les Xiongnu venus du nord séparait deux modes de vie, celui des sédentaires consommateurs de céréales et celui des nomades consommateurs de viandes et[...]
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Écrit par
- Guillaume LACQUEMENT : professeur de géographie, enseignant-chercheur, université de Perpignan Via Domitia
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