FRONTIÈRE
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Principe d’intangibilité et conflictualité des frontières
L’uti possidetis juris ou principe d’intangibilité
Le pavage étatique du monde forme un maillage de frontières linéaires dont la stabilité est pensée par un principe politique d’intangibilité qui n’exclut cependant ni les conflits ni les litiges. L’utipossidetis juris – locution dérivée de uti possidetis, ita possideatis : « vous posséderez ce que vous possédiez déjà » – ou principe d’intangibilité a été établi, en 1819, lors du congrès d’Angostura, au Venezuela, tenu à l’initiative de Simón Bolívar et réunissant les nouveaux États d’Amérique latine nés des décolonisations espagnole et portugaise, dans le but de prévenir les tentatives de sécession et d’expansion territoriales dans le contexte des indépendances. Il a conduit à considérer comme frontières stables des divisions administratives qui avaient été tracées lors de la conquête coloniale et en partie sur la base du traité de Tordesillas de 1494, qui partageait les terres découvertes par les navigateurs entre les monarchies espagnole et portugaise.
Ce même principe a été retenu par l’Organisation de l’unité africaine lors de sa création en 1963 pour la reconnaissance des frontières issues de la colonisation européenne. À la conférence du Caire de 1964, les États africains se sont engagés à respecter les frontières existantes au moment de leur accès à l’indépendance. À quelques rares exceptions (les frontières de l’Érythrée ont repris une ancienne ligne coloniale italo-abyssinienne, le Soudan du Sud a fait sécession), l’application de l’uti possidetis juris a instauré une situation de stabilité avec laquelle contrastent les logiques de fragmentation et de conflit qu’a connues le continent européen après 1989 à la fin de la guerre froide (dislocation de l’URSS en 1991, partition tchécoslovaque en 1992-1993, éclatement de la Yougoslavie en 1991-2001) ou plus récemment avec l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 aux dépens de l’Ukraine.
Les causes des conflits frontaliers
Les conflits frontaliers demeurent nombreux et concernent, au début du xxie siècle, environ 20 p. 100 des dyades sur tous les continents. Leurs causes tiennent souvent à des contestations territoriales, mais les formes de conflictualité ont changé, et les litiges contemporains portent davantage sur des questions de positionnement et de gestion de flux migratoires ou de ressources naturelles.
Les incidents récurrents à la frontière sino-indienne (échanges de tirs, franchissements de la frontière, installations de campements), par exemple, s’expliquent par l’héritage d’un conflit territorial non résolu remontant à la guerre frontalière de 1962. D’un côté, au nom de l’intégrité du Cachemire, l’Inde revendique les territoires de l’Aksai Chin, annexés par la Chine ; de l’autre, la Chine revendique, au nom de l’intégrité du Tibet, le territoire de l’Arunachal Pradesh, zone de hautes montagnes qu’elle avait occupée durant le conflit armé. Des accords promettent le règlement des différends, mais maintiennent le statu quo dans les faits. En conséquence, le face-à-face crée une situation de tension géopolitique forte sur le plan international : l’Inde fait partie du dispositif d’alliances stratégiques des États-Unis en Asie et les incursions de l’armée chinoise ont lieu à proximité d’une base militaire indienne sensible, qui sert de poste avancé dans le conflit opposant l’Inde et le Pakistan depuis la partition de 1947 au sujet du rattachement de la province du Cachemire. De même, au Proche-Orient, les limites territoriales issues du partage de la Palestine en 1947 et de la création d’Israël en 1948 restent contestées par les forces en présence, après avoir provoqué une succession de conflits armés. Les contestations territoriales, qui opposent [...]
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Écrit par
- Guillaume LACQUEMENT : professeur de géographie, enseignant-chercheur, université de Perpignan Via Domitia
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