Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FRONTIÈRE

Article modifié le

Artificialité des frontières ?

Frontières artificielles et frontières naturelles

Le Zambèze - crédits : Chris Simpson/ Getty Images

Le Zambèze

La permanence des conflits renvoie à la question de l’artificialité des frontières. Conventions juridiques issues d’une intention politique, les frontières sont traduites par des tracés. En ce sens, les frontières artificielles s’opposent aux tracés naturels qui épousent les formes visibles du relief comme une ligne de crête, un cours d’eau, un marais. Les tracés artificiels doivent donc être démarqués sur le sol par des bornes. Au cours du xxe siècle, à la suite des conflits mondiaux et de la décolonisation, cette idée prend progressivement une connotation plus politique, délaissant le champ de la simple description des tracés pour porter un jugement sur leur pertinence et leur légitimité. Est jugée artificielle la frontière imposée par des puissances extérieures à des populations vaincues sans tenir compte des héritages historiques et culturels, qu’elle soit matérialisée par des bornes ou par un élément naturel.

Tracés frontaliers et imbrication des minorités nationales

La présence de minorités nationales au sein des États est un motif politique de mise en cause de la légitimité des tracés frontaliers. Les frontières des États d’Asie centrale, nouveaux États issus de l’éclatement de l’URSS en 1991, ont été perçues comme artificielles en raison de l’imbrication des minorités nationales et du nombre important d’enclaves. Dans la vallée du Ferghana, les autorités soviétiques auraient, dans les années 1920, fait table rase non seulement du passé, mais aussi de la géographie. Mais dans les faits, les opérations de découpage visant à asseoir le nouveau régime ont moins été guidées par l’idée de frontière naturelle, jugée bourgeoise, que par des critères ethnolinguistiques selon le principe républicain de l’État-nation, cependant appliqué à une réalité complexe. Parce que le découpage avait un but de contrôle politique dans un environnement international hostile, il a pris en compte les héritages culturels et historiques. Les enclaves correspondent aux modes de vie et aux formes d’occupation de la vallée : pasteurs nomades sur les versants (Kirghizes), agriculteurs et citadins dans les fonds de vallée (Tadjiks et Ouzbeks).

Tracés des frontières et héritages coloniaux

Le partage de l’Afrique - crédits : courtesy of Michigan State University Libraries

Le partage de l’Afrique

Toutefois, le discours sur l’artificialité des frontières se focalise surtout sur la question des héritages coloniaux. Il se construit souvent en décalage avec la genèse des tracés, comme l’illustrent les frontières postcoloniales du continent africain. Les frontières africaines résultent d’un découpage rapide et exogène : les puissances européennes (notamment la France et le Royaume-Uni), rivales, mais complices, se sont partagé le continent en possessions et en sphères d’influence en un quart de siècle, depuis la conférence de Berlin (1884-1885) jusqu’à l’annexion de la Libye par l’Italie et le partage franco-espagnol du Maroc en 1911-1912. Les limites ont été tracées depuis l’Europe sur des cartes imprécises, avant toute reconnaissance sur le terrain, à la différence des frontières européennes, fixées a posteriori par des traités, après des luttes et des rapports de forces, des affirmations nationales et des mouvements d’émancipation à l’égard des formations impériales. Ces caractères expliquent la forme (lignes géométriques à 42 p. 100) et le support des tracés (réseau hydrographique à 34 p. 100, formes orographiques à 13 p. 100). Selon Michel Foucher, ils ont également donné naissance, dans le contexte de la décolonisation, à un mythe, celui des « cicatrices coloniales », responsables des conflits et du mal-développement, en raison de la manière coercitive et incohérente dont elles avaient été tracées et gérées par les administrations coloniales aux dépens des peuples autochtones, de leurs constructions politiques et de leur occupation du[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de géographie, enseignant-chercheur, université de Perpignan Via Domitia

Classification

Médias

Grande Muraille de Chine - crédits : v.apl/ Shutterstock

Grande Muraille de Chine

Le glissement de la frontière polonaise (1939-1945) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Le glissement de la frontière polonaise (1939-1945)

Le Zambèze - crédits : Chris Simpson/ Getty Images

Le Zambèze

Autres références

  • APARTHEID

    • Écrit par et
    • 9 064 mots
    • 8 médias
    ...bantous (à travers les investissements du Bantu Investment Corporation) et en décentralisant au maximum les industries européennes, leur installation à la frontière des bantoustans (border industries) devant permettre de trouver la main-d'œuvre nécessaire tout en évitant l'émigration des travailleurs africains...
  • COMMUNISME - Mouvement communiste et question nationale

    • Écrit par
    • 21 120 mots
    • 6 médias
    À défaut d'identité entre lesfrontières politiques et les frontières nationales, elles-mêmes souvent inexistantes tant les communautés nationales sont inextricablement mêlées dans cette région du monde, le mouvement social-démocrate, à la recherche de son unité, est contraint d'inventer un mode...
  • DÉTROITS ET ISTHMES

    • Écrit par
    • 6 042 mots
    • 5 médias
    ...maritimes et aériennes autour de technologies uniques (radars sensoriels, caméras thermiques et infrarouges) » (Le Boedec, 2007). De ce verrouillage de la frontière sud-espagnole résultent une diminution du nombre de migrants transitant par Gibraltar, mais aussi l’ouverture d’autres routes migratoires (mer...
  • FOUCHER MICHEL (1946- )

    • Écrit par
    • 1 112 mots
    • 1 média

    Géographe et diplomate, Michel Foucher (né le 6 août 1946) est un spécialiste de la géopolitique, et notamment de la notion de frontière. Il a explicité dans une soixantaine de publications les enjeux géopolitiques mondiaux, mettant en œuvre une méthode qui articule les échelles d’analyse...

  • Afficher les 13 références