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FRUSTRATION

Le meilleur exemple de frustration est sans doute celui de l'enfant qui cherche à apaiser son désir de savoir en consultant une encyclopédie, et qui se sent frustré par le savoir, pourtant de bon aloi, que cette encyclopédie a pu lui fournir. Qu'est-ce à dire, si ce n'est que la frustration reprend à son compte ce paradoxe qui fait que le savoir n'est en rien le complément du désir de savoir – ni le don de quelque preuve d'amour ce qui suffit à l'amour ?

La série d'exemples du même ordre que l'on pourrait aligner montre à l'évidence qu'on ne saurait en tout cas parler d'un quelconque savoir sur la frustration, mais qu'il est nécessaire de s'interroger sur le type de discours dans lequel elle aurait toute sa pertinence et grâce auquel un exemple de frustration serait quelque chose de reconnu dans une pratique pouvant porter à conséquence.

Car il y a justement un discours qui estime pouvoir s'articuler à partir d'un savoir sur la frustration, et qui n'est autre que le discours du maître. Il est en effet celui qui perpétue un système où le travail de l'esclave est payé à son juste prix en fonction d'un marché qui est celui du travail lui-même, mais où il reste nécessairement du travail non payé que le maître détourne à son avantage, et dont le travailleur, en tant que « je », peut s'estimer frustré, c'est-à-dire la « plus-value ».

On se souviendra donc que le terme de frustration a toujours en arrière-plan une connotation politique, même si le discours du maître est parvenu à le confiner dans la sphère du psychologique.

Aussi, étant bien posé qu'il n'y a pas de savoir sur la frustration, si ce n'est dans l'idéologie qui sous-tend la logique du discours capitaliste, il importe de tenter de distinguer aussi précisément que possible la généalogie de la notion dont le terme a hérité, et la constitution du discours où il affleure comme concept.

C'est en fait chez Freud qu'il a pu accéder à la dignité de concept scientifique, bien que l'idéologie médicale qui sert le discours du maître ait justement subverti la psychanalyse pour la réduire à n'être qu'un savoir sur la frustration comme poison et thériaque.

L'enjeu du « retour à Freud », en ce qui concerne la production de ce concept, puis son utilisation au sein du discours psychanalytique, est proprement politique, et ne relève donc pas seulement de l'exégèse, mais de ce qui peut faire obstacle à l'entreprise de détournement du savoir à des fins de domination.

La généalogie de la notion

Analyse lexicographique

La frustration désigne un état consécutif à la perte d'un objet ou au fait qu'un obstacle s'interpose qui empêche la « prise » et relance la « chasse ». C'est dire que ce mot risque de devoir assumer le paradoxe qui fait préférer la chasse sans la prise à la prise sans la chasse.

Il n'est donc pas si sûr que la satisfaction d'un besoin mette un terme à ce qu'il faut entendre comme étant la frustration. Aussi a-t-elle beau désigner un état, elle ne concerne pas le sujet de cet état en tant qu'organisme ; sans quoi, il n'y aurait plus lieu de distinguer la frustration de la privation.

Il ne s'agit pas non plus, cependant, de ce qui serait pour ainsi dire le côté subjectif d'une négation. Il est justement notable que l'emploi ait fixé les choses en français, de telle sorte que le terme désigne bien le corrélat d'un manque, sans que celui-ci corresponde pourtant à la privation d'un besoin ou à la négation d'un désir, mais à quelque chose qui se situe au niveau de la demande et de ses figures.

C'est toujours une « attente » qui est frustrée, souligne le « Littré », qui met beaucoup plus l'accent sur ce qu'il appelle le sens figuré que sur le sens[...]

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Écrit par

  • : psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure, membre fondateur des Cartels constituants de l'analyse freudienne

Classification

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