FRUSTRATION
La construction du concept
Le retour à Freud, en ce qui concerne l'occurrence et l'usage d'un concept de la frustration, est loin de décevoir. C'est principalement durant la décennie 1908-1918 qu'il est mis en chantier. On verra que son apparition est liée à deux mutations : d'une part celle qu'entraîne la production du concept de « pulsion », à partir de 1905, et d'autre part celle qu'implique l'abandon de l'étiologie traumatique.
Quant à son usage, il permet de souligner la dimension de la demande, concept seulement opératoire chez Freud, comme de mettre en place le domaine du fantasme. C'est précisément en ces deux points que le discours de Lacan s'enracine, pour prendre acte aussi bien de ce qu'implique la différence entre privation et frustration que de ce qui permet d'en articuler les termes, à savoir la castration.
L'occurrence du concept
Il n'est pas indifférent que le terme de Versagung ne soit thématisé par Freud qu'en 1908 ; car le texte où il apparaît pour la première fois indique une solution du problème de son origine. Il s'agirait, cette fois, non plus seulement d'un effet du raisonnement généalogique, mais d'un effet historiquement situable de l'importation du modèle énergétique en psychanalyse. Il importe d'en juger sur pièces.
Le modèle énergétique
Freud écrit, dans Moralité sexuelle « civilisée » et nervosité moderne : « Il nous semble que la constitution innée de chaque individu décide en dernier chef de la mesure dans laquelle une partie de sa pulsion sexuelle pourra être sublimée et réutilisée. En sus, les effets de l'expérience et les influences intellectuelles sur son appareil psychique parviennent à amener la sublimation d'une nouvelle partie de la pulsion. Mais étendre indéfiniment ce procès de déplacement n'est certainement pas possible, tout comme n'est pas indéfiniment possible la transformation de la chaleur en énergie mécanique dans nos machines. Une certaine quantité de satisfaction sexuelle directe semble être indispensable pour la plupart des organisations, et une frustration[Versagung]de cette quantité, qui varie d'un individu à l'autre, est accompagnée de phénomènes qui, eu égard à leurs effets, à savoir porter atteinte au fonctionnement et comporter la qualité subjective du déplaisir, doivent être considérés comme une maladie. »
Il semble que l'emploi du terme de Versagung dans ce contexte pourrait être considéré comme marquant le point d'échec du modèle thermodynamique dans l'interprétation du domaine où on l'a importé. Il est, en effet, bien évident qu'il n'y a pas de rapport d'homologie entre la perte de l'énergie calorifique qui ne peut être transformée en travail mécanique, et, disons, le détournement, en plus des parties sublimables de la pulsion sexuelle, de cette quantité qui ne peut l'être et qui doit être dépensée en satisfaction directement sexuelle.
C'est justement la vertu de ce terme de frustration de pouvoir désigner le retournement qui s'opère, du fait du passage d'un domaine à l'autre. Dans le cas du discours de la thermodynamique, la perte en travail, qui est déterminée et prévisible en fonction du principe de Carnot-Clausius, n'est qu'une perte imaginaire qui se rapporte à la fiction d'une machine idéale où toute la chaleur serait transformée en travail, et qui est précisément destinée à illustrer le caractère irréversible d'un processus bien réel.
C'est, au contraire, le processus de détournement de la quantité à des fins de sublimation ou d'idéalisation, au sens où Freud décrit ces procès, qui est imaginaire, et la perte qui est réelle. Mais cette perte n'est plus, comme dans le domaine physique, une perte en travail ; l'énergie s'y caractérise,[...]
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Écrit par
- Jacques NASSIF : psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure, membre fondateur des Cartels constituants de l'analyse freudienne
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