FUGUE, psychologie
La psychologie désigne sous le nom de fugue une conduite de déambulation, d'errance, de migration, de vagabondage qui éloigne brusquement le sujet de son foyer et de son environnement habituel. Dans les cas pathologiques, l'individu induit à prendre la fuite et à divaguer perd le sentiment de son identité, du lieu où il se trouve, voire de son origine. Le mot a été emprunté à l'italien fuga, motif musical dont les parties semblent se disperser en différentes voix, mais sans renoncer à une unité fondamentale. Voltaire l'emploie en 1775 en lui prêtant le sens, positif, d'escapade et de fuite heureuse. Le glissement sémantique qui s'opère peu à peu et qualifie bientôt un déplacement inopportun et maladif n'est assurément pas sans relation avec l'évolution d'une société où la sédentarité l'emporte sur l'errance, laquelle fit longtemps partie des rites d'apprentissage, de l'initiation cosmopolite et de l'expérience de la vie.
Une distinction a été établie entre fugue incoercible et fugue réactionnelle. Dans la première, l'envie irrésistible de partir revêt un caractère inconscient. Le sujet obéit à un automatisme, son errance sans but s'accompagnant le plus souvent d'amnésie. Il baigne dans un état confusionnel. Des points de repère, que le malade est seul à percevoir, l'orientent tant bien que mal dans un champ onirique dont il ne communique pas la clé interprétative. Une telle situation est fréquente dans la schizophrénie, l'épilepsie, la démence sénile.
La fugue réactionnelle répond à des mobiles précis ou, tout au moins, rationnels. L'attitude de fuite ne manque pas de justifications ni d'arguments, bien que la brusquerie de la décision naisse d'une poussée d'angoisse, lentement accumulée par des conditions affectives jugées insupportables. L'importance du milieu familial dans la psychogenèse de la fugue a incité plusieurs cliniciens à la situer dans le cadre des complexes incestueux.
Chez l'enfant, la fugue traduit l'épilogue dramatique d'un conflit avec l'entourage. Le terrain familial, vécu comme une source d'insatisfactions quotidiennes, est abandonné dans l'espoir, aussi vif qu'incertain, qu'il est possible de trouver ailleurs ce qui a été refusé. Pourtant, le désaccord avec les parents couve parfois secrètement. L'enfant fugueur, abandonnant soudain une famille apparemment unie et sans problème, exprime alors la volonté d'échapper à une routine dont il réprouve le caractère factice, hypocrite ou simplement anesthésiant. Il arrive qu'une volonté d'autonomie, étouffée par les liens d'une affection possessive, s'éveille et découvre dans la fuite une manière d'échapper à l'atmosphère de culpabilité et une façon de se soustraire à l'uniformité d'un destin tout tracé.
Parmi les adultes, les cas les plus fréquents de fugue se produisent dans des conditions liées à l'idée d'enfermement : jeunes gens en internat, soldats encasernés. Le sentiment d'être pris au piège explique similairement la fuite inopinée du domicile conjugal, comme si, avec la violence d'une illumination, s'imposait soudain, au détour d'une rue, l'urgence de changer de milieu et de peau, et de recommencer une autre vie.
Les observateurs ont coutume de suggérer une parenté entre la fugue et l'état d'hystérie. La dissociation de la conscience et du comportement de routine n'exprime-t-elle pas, en effet, une sorte de fuite hors du corps saisi par les contraintes quotidiennes ? Tout se passe comme si le corps condamné à l'immobilité se jetait brusquement dans un ailleurs, dans un théâtre où son esprit fait fonction de deus ex machina et le sauve d'une situation inextricable.
Il existe un cheminement[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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