FUTUR ANTÉRIEUR. L'AVANT-GARDE ET LE LIVRE YIDDISH (exposition)
L'exposition Futur antérieur. L'avant-garde et le livre yiddish (1914-1939) qui s'est tenue au musée d'Art et d'Histoire du judaïsme (M.A.H.J.) à Paris, du 11 février au 17 mai 2009, fut une révélation à bien des égards. Elle permit de réfuter l'image folkloriste qui colle à la littérature et à l'art du yiddishland, en révélant leur inscription dans les mouvements modernistes qui naissent à la fin du xixe et au début du xxe siècle. La directrice du musée Laurence Sigal, les commissaires Nathalie Hazan-Brunet et Hillel Kazovsky ont fait de l'exposition et du catalogue un événement unique et marquant. Sur les murs blancs et nus du musée, aménagés ainsi pour la circonstance, s'est déployé une surprenante polyphonie de lettres, de textes, de formes insoupçonnées et de couleurs souvent éblouissantes.
Les modernistes yiddish, appelés « Le Printemps des jeunes », constituent un mouvement international en soi puisqu'il éclôt et se développe dans toute l'Europe et aux États-Unis, entre 1905 et 1930 environ. Trois paradoxes et difficultés spécifiques marquent l'éclosion de ce mouvement. Il naît au moment où les classiques yiddish sont encore en pleine activité dans une société demeurée plus traditionnelle, ce qui suppose un besoin de rupture, d'aspiration à un ailleurs, temporel et géographique, conduisant la plupart des artistes juifs à l'exode dans diverses capitales du monde.
Par ailleurs, la Première Guerre mondiale a ramené vers la Russie les innovations occidentales véhiculées par des écrivains et des artistes russes et yiddish de Berlin, de Munich et de Paris (Montparnasse étant l'épicentre de cette explosion). La révolution russe de 1917 enthousiasme et décuple les énergies de ces créateurs. Si à l'Ouest les sources d'inspiration sont à la fois urbaine et industrielle, à l'Est, même si les avant-gardes sont fondées dans les villes, leurs origines se veulent rurales et folkloriques.
C'est dans ces conditions que se crée à Saint-Pétersbourg en 1908 la Société d'histoire et d'ethnographie juive avec à sa tête S. An-Ski. Une mission ethnologique s'organise, chargée de recueillir de 1912 à 1914 les traditions issues de la zone de résidence obligatoire en Ukraine, Podolie et Volhynie. Des écrivains et ethnologues recueillirent contes, légendes, proverbes, chansons et objets artisanaux, tandis que des artistes comme Solomon Youdovine, Altman, Ryback, El Lissitzky relèvent peintures et motifs décoratifs dans les synagogues et les cimetières. S'inspirant de ces motifs funéraires et synagogaux, la lettre hébraïque devient le premier support esthétique des modernismes yiddish, auquel s'ajoute les représentations végétales et animales. Le peintre majeur de ce premier mouvement d'avant-garde issu de l'expédition ethnologique est El Lissitzky avec notamment sa création picturale de Had Gadya, ses illustrations pour Yingl-Tsingl Khvat (Filourdi le Dégourdi) de Mani Leib, et ses illustrations de contes pour enfants et d'œuvres des écrivains et poètes les plus connus, car il espère ainsi assurer l'avenir de cette culture. Parmi les très nombreux autres peintres qui s'attachèrent à cette tâche (Marc Chagall, Sarah Shor, Altman, etc.), on trouve également Ryback avec In vald et Foïglen, sur des textes du poète avant-gardiste Leïb Kvitko. L'emprise de cette expédition se perçoit avec le plus d'éclat dans la comparaison entre les représentations respectives de la synagogue de Mogilev par Ryback et de celle de Vitebsk par El Lissitzky.
L'année 1918 fut une année décisive pour les arts plastiques comme pour la littérature. Deux expositions de tableaux et sculptures d'artistes juifs ont lieu, dont l'une à la galerie Lemercier à Moscou et un Cercle des hommes de lettres et[...]
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Écrit par
- Rachel ERTEL : professeur des Universités
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Média