FUTURISME
Les « allègres incendiaires »
La solidarité de groupe ne doit pas masquer les individualismes ni la diversité des démarches, partant les discordances. Chacun veille jalousement à la défense de ses découvertes plastiques, notamment à l'égard de l'extérieur. Ainsi, en 1913, Boccioni ouvre les hostilités contre le cubisme et son héraut Guillaume Apollinaire avec une vigoureuse diatribe antiorphique, Les Futuristes plagiés en France.
Umberto Boccioni (1882-1916)
Le rôle central de Boccioni dans la genèse du mouvement et de ses postulats théoriques ne fait guère de doute. Il élabore deux notions de base : le simultanéisme comme « synthèse de ce dont on se souvient et de ce que l'on voit » et le dynamisme comme « force intérieure » de l'objet (Les Exposants au public).
Son œuvre plastique tire son origine de thèmes hérités du symbolisme (La Signora Massimino, 1908) ou inspirés par la société industrielle et urbaine présente jusque dans l'Autoportrait de 1908. Deux œuvres clés, encore liées à ces préoccupations, marquent son passage au futurisme ; La ville monte (1910-1911) et la série des États d'âme (1911) intègrent de façon inédite le dynamisme à un espace déstabilisé par des compénétrations spatiales (Ines, 1911). Puis la pratique de la sculpture (Tête + maison + lumière, 1911-1912) ramène Boccioni à une conception plus nucléaire de l'objet, sensible dans la série des Dynamisme de 1913. Ce va-et-vient moteur entre les deux ordres plastiques fournit des exemples achevés de la maturité du futurisme, comme Formes uniques de la continuité dans l'espace (1913) ou Construction spiralique (1914). Boccioni disparaît en pleine activité créatrice au moment où ses recherches donnent la priorité à une intensification radicale des rapports colorés (Portrait de Busoni, 1916).
Gino Severini (1883-1966)
Installé à Montmartre, Severini peint la Ville Lumière dans un style néo-impressionniste aéré et serein. Il sert de relais entre le groupe milanais et les peintres ou écrivains de l'avant-garde parisienne, préparant notamment l'exposition chez Bernheim. Dès l'origine (La Danse du pan pan au Monico, 1911), sa manière s'imprègne fortement de cubisme ; elle en demeurera assez proche par le découpage de l'objet – réagencé toutefois de façon dynamique – par l'introduction des mots dans l'image et la technique du collage. Severini précise ses options particulières dans Les Analogies plastiques du dynamisme (1913-1914) : une forme donnée en convoque d'autres par affinités ou contrastes simultanés. De là des équivalences qui s'expriment dans l'algèbre de titres tel Ballerine + mer = bouquet de fleurs (1913). Les inclusions de matières (paillettes, feuilles métalliques...) concourent à l'« intensification réaliste » avec les parolibere et les onomatopées et, anticipant sur les expériences polymatière de Prampolini, profilent « la fin du tableau et de la statue » annoncée par Severini.
Carlo Carrà (1882-1966)
Il revient à Carlo Carrà d'avoir peint l'une des œuvres incarnant le plus totalement l'idéal originel du futurisme. Les Funérailles de l'anarchiste Galli (1911) évoque sans ambiguïté le manifeste de Marinetti qui chantait « le geste destructeur de l'anarchiste » et l'engagement du peintre. Très rapidement, l'œuvre de Carrà révèle une synthèse originale avec les schèmes cubistes (La Galerie de Milan, 1912) et ses techniques (papiers collés de 1914). Il en développe les principes dans un manifeste personnel, La Peinture des sons, des bruits, des odeurs (1913), qui définit les notions d'équivalence et de complémentarisme plastiques. D'autres textes théoriques suivront, publiés par Lacerba ; ils révèlent ses divergences avec Boccioni et marquent son détachement du « marinettisme[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Louis COMOLLI : réalisateur et critique de cinéma
- Claude FRONTISI : professeur émérite des Universités, président du centre de recherche Pierre-Francastel
- Claude KASTLER : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Grenoble
Classification
Médias
Autres références
-
LE FUTURISME À PARIS (exposition)
- Écrit par Henri BEHAR
- 1 016 mots
À Paris, le Centre Georges-Pompidou présentait, du 15 octobre 2008 au 26 janvier 2009, une exposition consacrée au Futurisme à Paris, significativement sous-titrée, d'après Mikhaïl Larionov, « une avant-garde explosive ». Elle se transportera ensuite à Rome (Scuderie al Quirinale) puis...
-
FUTURISME. MANIFESTES, DOCUMENTS, PROCLAMATIONS, Giovanni Lista - Fiche de lecture
- Écrit par Jacinto LAGEIRA
- 964 mots
- 1 média
L'anthologie Futurisme. Manifestes, documents, proclamations a été mise au point par Giovanni Lista, l'un des meilleurs spécialistes du mouvement futuriste, auquel il a consacré une douzaine d'ouvrages. Elle comporte les principaux textes des protagonistes écrits entre 1909 et 1930, ainsi que...
-
AFFICHE
- Écrit par Michel WLASSIKOFF
- 6 817 mots
- 12 médias
...alors une dimension nouvelle au cubisme, à partir de laquelle les affichistes à leur tour vont déployer leurs recherches au cours des années 1920. Les futuristes, quant à eux, diffusent internationalement, livres, manifestes et affiches, prônant une « nouvelle conception de la page typographiquement... -
AVANT-GARDE EST-EUROPÉENNE
- Écrit par Andrzej TUROWSKI
- 8 086 mots
...l'approche des problème posés par l'art moderne. Les déclarations expressionnistes se sont raréfiées au profit de l'attraction exercée par la dynamique futuriste et par le jeu dadaïste. Ces deux tendances engendrent une attitude générale par rapport à l'art plutôt qu'elles n'aboutissent à des solutions... -
BALLA GIACOMO (1871-1958)
- Écrit par Maïten BOUISSET
- 655 mots
Signataire avec Boccioni, Carrá, Russolo et Severini du Manifeste des peintres futuristes, le 11 février 1910 à Milan, Giacomo Balla est le plus âgé du groupe. Né à Turin, Balla décide très tôt de sa vocation de peintre. Autodidacte, il ne suivra que quelques cours de dessin ; il travaille chez...
-
BOCCIONI UMBERTO (1882-1916)
- Écrit par Maïten BOUISSET
- 637 mots
- 3 médias
« Il n'y a qu'une loi pour l'artiste, c'est la vie moderne et la sensibilité futuriste », écrivait Umberto Boccioni, qui est incontestablement, avec le poète Marinetti, le protagoniste le plus important et la figure la plus complète du mouvement futuriste : il en fut le théoricien le plus lucide,...
- Afficher les 51 références