GABO NEEMIA PEVSNER dit NAUM (1890-1977)
Que l'amplitude de l'onde oscillatoire donnée par un mécanisme de fortune à une simple tige de métal puisse engendrer un volume virtuel, fuselé, et que cet objet si modeste soit aujourd'hui considéré comme l'une des plus importantes sculptures du xxe siècle – et le point d'origine d'un grand nombre de recherches contemporaines – est comme la démonstration symptomatique de l'extraordinaire fécondité de chacune des innovations de Neemia Pevsner, dit Naum Gabo.
L'espace hors limites
La minimalité de l'effet visuel est, dans la célèbre Construction cinétique de 1920, inversement proportionnelle à la totale nouveauté de la réponse donnée à la question que posait dès 1912 (avec la Guitare de Picasso et le Développement d'une bouteille dans l'espace de Boccioni) toute la sculpture moderne : comment mettre en forme un volume sans lui conférer toujours la monumentalité pesante de la masse, comment sculpter l'espace sans toujours le borner dans les limites d'un bloc, si évidé soit-il ? Cette œuvre est sans doute la première sculpture mobile importante de notre histoire (les essais des futuristes italiens n'étaient guère convaincants) ; c'est, en outre, la première fois qu'un volume plastique, fictif, illusoire, impalpable et diaphane est engendré par la répétition d'un mouvement trop rapide pour que la vision humaine parvienne à le décomposer. La persistance rétinienne, sur laquelle se fonde tout le cinématographe, passionnera les artistes du xxe siècle (de Lissitzky et des membres du Bauhaus aux auteurs ultérieurs de happenings « cinétiques »), mais Gabo abandonnera cette voie (après avoir prévu de grandioses fêtes de lumière dans les ciels nocturnes). En effet, l'importance visuelle que prenait fatalement le poids du mécanisme moteur, au détriment du travail proprement sculptural, en ces temps où la miniaturisation technique n'existait pas encore, lui semblait conduire à de profonds malentendus : il ne s'agissait plus pour lui du sempiternel hymne à la machine, commun aux avant-gardes des années 1920, du futurisme italien au constructivisme russe.
Pourtant, bien que le Manifeste réaliste soit à tort souvent pris pour le programme du constructivisme (alors qu'il n'emploie même pas ce vocable), l'œuvre de Gabo et celle des membres de ce large mouvement ont un fonds commun : l'interrogation essentialiste que toute pratique artistique de la modernité voulut porter sur ses conventions, ses fondements (codes formels et matériaux) et sa finalité. Tatline avait été en 1913 le seul à comprendre, au cours d'un bref voyage à Paris, l'ampleur des découvertes de Picasso dans ses fragiles constructions de papier. Et si Gabo, en 1916-1917, sculpte en Norvège une remarquable Tête de femme (Museum of Modern Art, New York) dont les plans facettés s'agencent dans le creux rassurant d'une encoignure (une sorte de boîte triangulaire, ouverte, s'offre pour fond à ce faux bas-relief), ce n'est pas sans rapport avec les « reliefs-encoin » qu'avait réalisés Tatline à Moscou dès 1915, dont pourtant il ne pouvait avoir eu connaissance.
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Écrit par
- Yve-Alain BOIS : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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