GABO NEEMIA PEVSNER dit NAUM (1890-1977)

Des plans, des transparences et des vides actifs

Même s'ils partagent un intérêt toujours renouvelé pour le matériau, leur formation aura été très différente. Tatline le marin est quasiment autodidacte. Gabo, au contraire, né dans une famille aisée, dans un petit village de l'Orel, près de Briansk en Russie, est envoyé à Munich en 1910 pour y étudier la médecine, mais il préfère recevoir une formation d'ingénieur civil (il s'opposera plus tard aux malheureux essais « productivistes » de Tatline, qui voulait, après la révolution d'Octobre, remplacer l'art par le travail dans la production industrielle sans avoir les connaissances techniques requises).

Surtout, Naum Gabo suit les cours de l'historien d'art Heinrich Wölfflin (qui l'envoie faire un voyage en Italie). C'est de la fusion de ces deux enseignements qu'il tirera sa conception structurale de l'œuvre d'art. La première grande sculpture de Gabo, la Tête construite n^o 2 de 1916, devra tout autant aux leçons du fondateur du formalisme en histoire de l'art qu'à sa propre connaissance des systèmes modernes d'ossature dans la construction métallique.

La méthode de Gabo, déjà appliquée dans cette tête (où les arêtes des plans qui dessinent la figure, telle une charpente sans sa peau, s'inscrivent en saillie dans le vide – et inscrivent ce vide – aux endroits les moins attendus) est décrite bien plus tard dans un texte publié dans Circle : International Survey of Constructive Art, l'almanach qu'il édita à Londres avec Ben Nicholson en 1937. Après s'être posé la question : « Quelles sont les caractéristiques qui font d'une œuvre d'art une sculpture ? » (de la même manière, le linguiste Roman Jakobson s'interrogeait sur la « littérarité » d'une œuvre littéraire), Gabo oppose son système de construction à celui de la statue classique (dont l'emblème est pour lui le Sphinx d'Égypte), en commentant un schéma représentant deux cubes dont le second expose sa conception : l'intersection de deux plans suffit à produire l'espace qui les contient, les arêtes balisent le volume d'air comme des lignes de forces qui se prolongent dans l'environnement, sans le limiter (les textes de Gabo sur ce point sont très proches de ceux de Boccioni). Selon une curieuse injustice, Gabo est souvent apparu comme le cadet obscur d'Antoine Pevsner, de cinq ans son aîné. Les documents sur leurs débuts publiés par Alexei Pevsner, resté à Moscou sans nouvelles de ses aînés pendant des années, montrent clairement le retard de dix ans qu'avaient les recherches d'Antoine sur celles du jeune Naum. La Première Guerre mondiale l'ayant surpris à Munich, Gabo se réfugie en Norvège, où le rejoignent Alexei puis Antoine : c'est là que Gabo élabore ses premières Têtes révolutionnaires (Pevsner, d'abord peintre, n'a commencé à travailler la sculpture qu'en 1925, et ses premiers travaux en ce domaine sont des variations sur ceux de Gabo).