SÉNAC DE MEILHAN GABRIEL (1736-1803)
Malgré une carrière politique assez brillante sous l'Ancien Régime, Sénac de Meilhan est surtout connu par le témoignage précieux qu'il apporte sur les milieux de l'émigration dans son roman L'Émigré (1797). Né à Paris en 1736, ce fils d'un premier médecin de Louis XV fait preuve d'un esprit brillant et manifeste autant de goût pour le plaisir que pour l'étude. Il fréquente très tôt des personnages en vue comme la duchesse de Gramont et Mme de Pompadour. Sa carrière administrative est éclatante : il est successivement intendant de La Rochelle (1766), d'Aix (1773) et de Valenciennes (1775). En 1776, le comte de Saint-Germain, alors ministre, lui confie la mission extraordinaire d'intendant général de la guerre. Mais il n'est pas heureux dans cette fonction difficile et doit y renoncer. Il engage alors une polémique avec Necker, dont il réfute les opinions dans ses Considérations sur le luxe et les richesses (1787). Sénac de Meilhan y montre que, dans une société donnée, les formes politiques sont issues de la nature et de la répartition des richesses. En 1790, il émigre et, comme beaucoup de ses semblables, connaît successivement la plupart des capitales européennes (Londres, Aix-la-Chapelle, Rome...). En Pologne, il est bien traité par Stanislas Poniatovski. En Russie, Catherine II lui accorde un traitement malgré leur peu d'affinités. Ensuite, il va s'établir à Hambourg, alors centre de l'émigration intellectuelle et littéraire. Il y fréquente les gens de lettres et y publie des Œuvres philosophiques et littéraires, version remaniée et enrichie des précédentes Considérations sur l'esprit et les mœurs. Mais la postérité n'a guère retenu de ses œuvres que L'Émigré, écrit en 1794 et publié en 1797 à Brunswick. Les lettres qui composent ce roman sont supposées avoir été écrites en 1793, ce qui fait dire à l'auteur dans un avertissement : « La plupart des tableaux et des sentiments qu'elles renferment sont relatifs à cette époque affreuse et unique dans l'histoire. La sombre horreur qui régnait dans les esprits semblait ne permettre alors aucune conjecture favorable. » Sénac de Meilhan se dit très conscient de l'impuissance de la littérature, et notamment de la littérature romanesque, face aux événements révolutionnaires. En fait, loin d'inventer des formes nouvelles, il a très évidemment recours à des modèles littéraires tels que La Nouvelle Héloïse, ou La Princesse de Clèves ; mais les milieux qu'il évoque sont bien ceux de l'époque, notamment l'Allemagne des émigrés, et l'auteur fait preuve d'une remarquable indépendance d'esprit pour juger des préjugés et des fautes de cette émigration dont il fait partie. Face à ce monde dont il analyse les idées, les espérances et les regrets, il montre bien toute l'importance et l'influence de la Révolution, il fait état des différences entre la bourgeoisie et le peuple, et il pressent que l'on se dirige vers une dictature. Etiemble, dans une préface pour L'Émigré, rappelle d'ailleurs que Sénac de Meilhan, contre-révolutionnaire convaincu, n'en admirait pas moins Montesquieu et Voltaire.
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Écrit par
- Denise BRAHIMI : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, professeure agrégée des Universités (littérature comparée), université de Paris-VII-Denis-Diderot
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