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TARDE GABRIEL (1843-1904)

Si à certaines notions, fondamentales en sociologie – la conscience collective, l'idéal type, la communauté –, sont associés les noms de Durkheim, Weber et Tönnies, qu'elles suffisent à évoquer, c'est au thème de l' imitation que celui de Tarde demeure classiquement attaché. Le rôle essentiel que ce dernier a assigné à la répétition ainsi qu'aux phénomènes de contagion dans la formation et l'évolution des comportements l'a opposé à Durkheim. Aux yeux de l'auteur des Lois de l'imitation, « l'individuel écarté, le social n'est rien ». « Que serait l'homme sans la société ? », objecte le fondateur de l'École française de sociologie. Pour l'un, le rapport interpersonnel est caractérisé par l'immédiateté et l'asymétrie ; il est, chez l'autre, médiatisé par une règle : la réciprocité. Toujours ouvert, ce débat atteste la difficile naissance de la psychologie sociale en France et illustre les vicissitudes de l'idée d'interaction qui, méconnue par Comte mais généralisée par Cournot, occupe une place centrale dans l'œuvre de Tarde.

Psychologie et statistique

Lorsqu'en 1886 Tarde publie son premier ouvrage, Criminalité comparée, les fondements de ce qu'il devait appeler l'interpsychologie sont déjà mis en place. Les thèmes majeurs auxquels s'est appliquée sa pensée ont mûri tout au long de la décennie précédente dans ce Périgord noir où s'est déroulée, partagée entre Sarlat, sa ville natale, et le manoir familial de la Roque-Gageac, une enfance marquée par de graves troubles oculaires et de fréquentes crises de mysticisme. Ils témoignent, dans leurs reformulations successives, de l'influence décisive exercée par quelques œuvres longuement méditées après des lectures écourtées : celles de Leibniz, de Hegel, de Cournot surtout.

Aussi bien, ni la formation juridique de Tarde, ni sa carrière de magistrat – juge suppléant à Sarlat en 1869, il y exerça de 1875 à 1894 les fonctions de juge d'instruction –, ni les nombreuses études de criminologie notamment publiées dans les Archives d'anthropologie criminelle, dont Lacassagne lui confia en 1893 la co-direction, ne doivent masquer la nature et l'orientation de ses plus constants intérêts. Ils se laissent clairement voir dans les titres des articles de la Revue de philosophie, que Ribot lui ouvrit dès 1880 : « Les Traits communs de la nature et de l'histoire » (1882), « L'Archéologie et la statistique », « Qu'est-ce qu'une société ? » (1884) ; chacun de ces textes forme d'ailleurs la substance d'un chapitre des Lois de l'imitation (1890), « La Psychologie en économie politique » trouvant son point d'aboutissement dans l'ultime synthèse consacrée à la Psychologie économique (1902).

Qu'il s'agisse de formes normales ou de formes pathologiques de l'existence sociale, d'actes individuels ou de phénomènes collectifs, le souci d'introduire le nombre et la mesure dans leur analyse est d'emblée manifeste. Deux termes sont associés à cette exigence méthodologique. Ils jalonnent toute l'œuvre de Tarde et donnent son titre à sa première contribution à l'histoire des idées : La Croyance et le Désir (1880).

Elle s'ouvre sur une critique de l'arithmétique morale de Jeremy Bentham, de la théorie psychophysique de Gustav Fechner et du calcul des probabilités. L'impossibilité, d'une part, de généraliser le fameux algorithme des sensations, d'autre part, de dépasser le seuil de la crédibilité ou de la désirabilité au moyen de raisons mathématiques de croire et de désirer n'a pas détourné Tarde de chercher à établir une métrique des quantités subjectives. Elle l'a, au contraire, amené à souligner la portée logique et psychologique des termes[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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