TARDE GABRIEL (1843-1904)
L'idée d'interaction
Nommé en 1894 chef de la Statistique criminelle à Paris, Tarde a été appelé à exposer ses idées à l'école libre des Sciences politiques puis au collège libre des Sciences sociales. Ces œuvres Les Transformations du pouvoir et d'abord Les Lois sociales (1898) sont issues de ces cours. Leur plan systématique – répétition, opposition, adaptation – s'explique par la nécessité de faire pièce à la sociologie durkheimienne. Élu en 1900 au Collège de France, Tarde a traité de l'économie suivant les mêmes divisions ; mais c'est à la psychologie intermentale que son premier cours est consacré. La permanence de la forme ne doit donc pas tromper.
Dans la plupart des ouvrages précédemment cités et dans certains des articles qui les encadrent, on suit la mise en place progressive d'une perspective interactionniste. Les réflexions sur la gloire, la mode, la politesse, les fêtes, la vendetta.... dessinent un nouveau domaine d'investigation que Tarde a préféré nommer psychologie interspirituelle, intercérébrale, intermentale, ou interpsychologie plutôt que psychologie « sociale » ou « collective ». Les études rassemblées en 1901 sur le public et la foule, l'opinion et la conversation, la rumeur aussi donnent une bonne idée de ce que ce domaine recouvre. Ces analyses, qui recourent aux notions modernes de groupe, de rôle, de leader, ont cependant été beaucoup moins prisées que celles de G. Le Bon ; et les très suggestifs aperçus sur la mondanité, les salons, les clubs, les cercles, les cafés sont pratiquement ignorés par les recherches actuelles sur les formes de sociabilité.
Il reste donc à s'interroger sur les raisons de l'insuccès, en France, de la conception tardienne de la science sociale. Les plus superficielles tiennent aux caractères extérieurs de l'œuvre et à la carrière de son auteur. Un défaut de concision, certaines dérives poétiques, une propension à la rêverie métaphysique lui ont été reprochés par ceux qui souhaitaient, avec Bouglé, constituer une sociologie « scientifique, objective et spécifique ». L'éloignement provincial, l'isolement intellectuel et l'accession tardive à l'enseignement ont également nui à la diffusion des idées de cet autodidacte. À Paris même, Tarde ne s'est pas soucié de faire école. À l'inverse des durkheimiens, dont on connaît la stratégie universitaire, il n'a pas vu dans les chaires, les revues, les groupes de recherches les instruments essentiels d'un « mode de faire valoir ». Sans doute a-t-il manqué de pugnacité ; mais les traits d'un tempérament importent moins ici que les facteurs idéologiques et l'orientation de la conjoncture scientifique.
T. N. Clark et, plus récemment, I. Lubek ont bien discerné ce qui rend les thèses de Tarde discordantes par rapport à celles qui dominent à son époque. L'auteur des Lois appartient à une tradition qui, mettant l'accent sur la subjectivité, crédite les conduites individuelles d'une réelle spontanéité face aux cadres institutionnels et rapporte l'existence de valeurs collectives à l'initiative et à l'invention personnelles. Cette tradition est antagoniste du positivisme empirique axé sur la raison, l'ordre, l'autorité qui, de Polytechnique, a conquis la Sorbonne. Elle devait se maintenir au Collège de France avec Paul Janet, J. Izoulet, Tarde et surtout Bergson. On distingue ce qui, dans cette représentation du monde social, pouvait plaire à la haute bourgeoisie et aux milieux catholiques ; combien, en revanche, la sociologie durkheimienne se trouvait en accord avec le socialisme, le syndicalisme, le « solidarisme » de l'époque.
À relire certains textes mineurs de Durkheim, L'État actuel des études sociologiques, Crime et santé sociale (1895), La Sociologie[...]
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Écrit par
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: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
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