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D'ANNUNZIO GABRIELE (1863-1938)

De la guerre au Victorial

La guerre marque une étape importante dans la vie de D'Annunzio comme dans son œuvre. Cet esthète égocentriste, qui a tout sacrifié jusqu'alors à l'art, à l'amour, à l'exaltation de soi, ne va plus vivre que pour l'action.

Son rôle dans l'intervention de l'Italie aux côtés des Alliés relève de l'histoire : il est trop connu pour qu'il soit besoin d'y revenir, sinon pour rappeler, sur le plan littéraire, qu'il a inspiré, en français, l'Ode pour la résurrection latine et, en italien, les pages admirables de l'Envoi à la France (1916) – qui sert de postface à La Léda sans cygne et évoque la France meurtrie et ses champs de bataille au cours des deux premières années de la guerre – et les Discours de Quarto et du Capitole. Le poète a cinquante ans : avant qu'il décide de poursuivre à l'écart son labeur d'écrivain, sept ans s'écouleront, pendant lesquels il va lutter et combattre, « oser l'inosable », perdre son œil droit dans l'atterrissage de son avion et, « borgne voyant », repartir, braver sans répit la mort.

Sans la guerre, le plus indiscuté de ses chefs-d'œuvre, le Notturno (écrit en 1916), n'aurait pas été conçu. Une mystérieuse correspondance rapproche ce livre de la double méditation composée dans la solitude des Landes quatre ans auparavant, et pour laquelle le poète avait déjà trouvé le secret de cette prose harmonieuse et sobre portée ici à sa perfection.

Les années qui suivirent l'épopée de Fiume resteront les plus tragiques, osons dire les moins dignes de son existence : son nationalisme exacerbé, ses rêves impérialistes ne sont pas étrangers à l'avènement du fascisme, ni à ses excès. L'Italie d'aujourd'hui ne lui pardonne pas volontiers.

Dans la solitude du Victorial, voulue d'abord puis subie – car il n'est pas douteux qu'il devint assez tôt prisonnier du régime –, il n'a d'autre souhait que de reprendre son labeur d'écrivain et de publier celles de ses œuvres dont la guerre avait retardé l'achèvement : l'édition du Nocturne (1921), la réédition, non sans retouches, des Étincelles du marteau (1924-1928), les recueils de ses Discours politiques, etc. Il faut assigner une place à part, entre toutes ces proses, qui ne sont qu'une suite d'efforts pour aller plus avant dans la connaissance de soi, au Libro segreto di Gabriele D'Annunzio tentato di morire (Livre secret de Gabriele D'Annunzio tenté de mourir, 1935) : on y trouve, au milieu de vieux souvenirs et de confidences plus récentes, réunis pêle-mêle, un grand nombre de pages secrètes écrites avec la plus audacieuse sincérité. Si quelques-unes restent mystérieuses, la plupart jettent sur l'écrivain et sur l'homme un éclairage nouveau.

Longtemps bravée dans le danger, la mort le trouve à sa table de travail, le soir du 1er mars 1938. Il y reprenait pour la quatrième fois la rédaction d'une ultime dédicace, sans doute celle de tout son théâtre, à Eleonora Duse, « la divine inspiratrice », trop cyniquement représentée dans Le Feu sous les traits mûrissants de la Foscarina, « celle, écrit-il lui-même, qu'il n'avait pas méritée ».

Tout ne saurait être sauvé dans cette œuvre immense. La critique actuelle essaie de faire le point : on revient déjà sur plus d'une exclusive, sur plus d'un jugement hâtif. Des discussions engagées au cours des congrès qui ont suivi la célébration du centenaire, il résulte que les erreurs d'interprétation, le parti pris ou l'ignorance sont, plus que la mode ou l'injure du temps, à l'origine de la désaffection d'une œuvre, dont il est d'ores et déjà possible de prévoir que restera la poésie, qu'il s'agisse d'œuvres en vers : [...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, directeur honoraire du centre d'études supérieures et du lycée français de Rome

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Média

Gabriele D’Annunzio - crédits : Lebrecht Authors/ Bridgeman Images

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