CHANEL GABRIELLE dite COCO (1883-1971)
L'émancipation du corps de la femme
À l'annonce de la Seconde Guerre mondiale, cette femme au parcours singulier, reconnue dans le monde entier et qui a su donner ses lettres de noblesse à toute une profession ferme sa maison de couture et demeure au Ritz. Après une retraite en Suisse d'une quinzaine d'années, Chanel, qui a 71 ans, mais comprend mieux que quiconque les exigences d'une vie active, rouvre sa maison en 1954. À la suprématie du new look affichée par Christian Dior, qu'elle juge rétrograde, à cette féminité outrée qui restaure les crinolines et les corsets, elle oppose son petit tailleur. Les Américains applaudissent à la modernité de ses propositions, mais la presse française la conspue, tout en reconnaissant son erreur dès la saison suivante. Triomphante, Chanel se trouve alors en parfaite adéquation avec les aspirations de son temps : ce qui, en 1954, était qualifié « d'avant-garde » sera, la saison suivante, promu au rang enviable de « classique ».
Seconde peau, ce tailleur se porte en toutes circonstances, hiver comme été. C'est un ensemble de vêtements organiquement conçus pour permettre l'aisance du mouvement, clé de voûte de l'élégance. La veste, dénuée de col, doit être aussi souple qu'un cardigan, et la jupe portefeuille, frisant le genou, ne doit ni serrer la taille ni entraver la marche. Les poches servent à y mettre les mains et les boutons à boutonner. Même la ganse dont s'orne la veste a sa fonctionnalité : elle évite la surépaisseur de l'ourlet. L'ensemble en tweed doublé d'un matelassage de soie, fini à l'intérieur par une chaîne dorée qui vient plomber la veste, ne prend forme que sur le corps. À ce costume exclusivement réalisé sur mesure, toujours pareil et pourtant chaque fois différent, s'ajoutent des accessoires devenus emblématiques de la Maison : le sac en bandoulière, matelassé, à chaîne dorée, le catogan, le camélia, les bijoux et sandales bicolores qui affinent la jambe. Chacun de ces accessoires est élaboré en collaboration avec des artisans hautement spécialisés qui, menacés de disparaître, ont été repris par l'actuelle Maison Chanel : le bottier Massaro, le parurier Desrues, le plumassier Lemarié, le brodeur Lesage, la Maison Guillet (fleurs), le bijoutier Goossens ainsi que le modiste Michel, artisans qui ont contribué à la définition non d'une mode mais d'un style et d'un véritable art de vivre où règnent décontraction et bien-être.
À sa mort, en 1971, Mademoiselle Chanel laisse un véritable empire. Ses premiers d'atelier assurent la continuité de la haute couture, dans le plus grand respect de son œuvre. Un département de prêt-à-porter est institué en 1978. La direction revient au styliste Philippe Guibourgé avant que Karl Lagerfeld ne devienne, en 1983, le directeur artistique des collections de haute couture, de prêt-à-porter et d'accessoires. Évinçant le respect qui fige toute créativité, Karl Lagerfeld revisite tout l'héritage laissé par la Grande Mademoiselle. Sans cesse, par ses créations irrévérencieuses, il rajeunit l'image de ses clientes. En cela, il est fidèle à l'esprit même de Chanel : il est en parfaite concordance avec son temps.
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Écrit par
- Catherine ORMEN : historienne de la mode
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