VINCENT GABRIELLE (1928-2000)
Secrète et sensible, Monique Martin (qui choisira en 1981 le pseudonyme de Gabrielle Vincent) est née le 9 septembre 1928 à Bruxelles où elle étudie à l'Académie royale des beaux-arts. Seuls quelques proches mentionnent les cartes postales, les expositions intimistes de l'aquarelliste, les tirages à compte d'auteur de carnets de croquis offerts à des amis et un premier album Le Petit Ange à Bruxelles (1970), resté confidentiel. Le succès vient avec Ernest et Célestine ont perdu Siméon (1981), un album pour les petits enfants, immédiatement distingué par un Parents Choice décerné en 1982 aux États-Unis et une mention pour le Sankei Children's Books Publication Prize (1984, Japon). De nombreux titres suivront, notamment Ernest et Célestine, musiciens des rues (1981), Ernest et Célestine chez le photographe (1982) ; sélectionné par le New York Times comme l'un des dix meilleurs albums illustrés de 1982, ce dernier reçoit le prix de la Fondation de France, la médaille de bronze du prix Plantin Moretus, la mention Sankei du Japon.
Le gros ours tendre et la petite souris, devenus un couple de référence dans le monde des albums pour enfants, apportent à leur créatrice une reconnaissance internationale. D'abord édités chez l'éditeur belge Duculot, repris par Casterman, ces albums ont été traduits en douze langues. Ces histoires montrent des situations de la vie quotidienne vues par des enfants et des cœurs simples, dont Gabrielle Vincent illustre en poète la vulnérabilité. Ainsi, la plus galvaudée des fêtes retrouve un charme innocent avec Noël chez Ernest et Célestine (1983). Le ton et la qualité graphique de la série se retrouvent dans d'autres titres où l'économie du trait vise à l'essentiel. Outre les histoires d'animaux anthropomorphes, il est des figures d'enfants qui touchent juste comme dans La Petite Marionnette (1992) ou des vieillards au grand cœur dans Au bonheur des ours (1993). Gabrielle Vincent s'écarte de tout artifice infantile. Par-ci, par-là, ce monde fragile et précaire laisse entrevoir une déchirure, un éclat de souffrance à l'image des errances de ce chien abandonné et sans voix de Un jour, un chien (1982), un titre publié par Monique Martin sous son nom véritable. Cette veine est de la même eau que l'inspiration de certains thèmes empruntés à Jacques Brel : Brel : 24 portraits (1989), Les Vieux (1989) ou Moi je t'offrirai des perles de pluie (1993).
D'autres publications dévoilent une face moins connue et plus angoissée encore, comme L'Œuf (1983), une fable noire, accentuée par un trait au fusain, sans texte, lourde d'ambiguïté ; un œuf géant accapare l'attention des humains, un immense rapace le couve et donne naissance à un sombre oisillon qui sera finalement tué par les minuscules canons d'une armée humaine dérisoire. En revanche, le désert, où l'artiste se rendit (Au désert, 1992), les espaces aériens (La Montgolfière, 1996) invitent à plus de sérénité. Au palais (1994) réunit une suite de croquis d'avocats en robe, sans effets de manches, comme écrasés par une tâche impossible ; aucune parole, aucun indice ne confortent les certitudes définitivement minées des auxiliaires de la justice. Après avoir imaginé une naissance très humaine pour Célestine dans La Naissance de Célestine (1993), Gabrielle Vincent confronte dans Cet été-là (1994) les deux héros à la mort d'une amie humaine. Pour l'auteur, la justice, le sens de la vie comme celui de la mort restent des énigmes. Une question que la mort de l'artiste le 24 septembre 2000 à Bruxelles laissera sans réponse.
Le succès de Gabrielle Vincent tient sans doute à un talent de peintre et de graphiste très subtil au service d'une grande sensibilité. Ce succès pose la question du statut de l'album d'artiste, genre qui n'atteint souvent[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Nelly FEUERHAHN : chercheuse honoraire au CNRS
Classification