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GAÏA, TERRE VIVANTE (S. Dutreuil) Fiche de lecture

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Vers un décloisonnement des savoirs ?

Cet essai savant et dense, sans présenter cependant de difficultés particulières de lecture, propose une enquête scientifique historique, philosophique et politique sur l’hypothèse Gaïa, ses transformations et son influence. Le livre suit l’évolution historique des thèmes qui sont associés de près, puis de plus en plus loin, à Gaïa, ainsi que les bouleversements intellectuels et institutionnels qui leur sont liés. Devant la quantité d’informations offerte et l’impossibilité de définir simplement l’objet du travail, les éléments de l’enquête sont regroupés en cinq grandes parties, chacune proposant une synthèse temporelle et conceptuelle différente – ainsi, « Une petite science gaïenne, hypothèse ou théorie de l’environnement global », ou encore « Une philosophie et une politique de la nature au cœur d’une vaste transformation culturelle »… Avec une grande honnêteté intellectuelle, Dutreuil présente les arguments pour et contre de chaque controverse versée au dossier. Chacun devrait ainsi pouvoir se faire une opinion, et au besoin aller puiser dans les quelque 600 références citées.

Lovelock n’apparaît pas ici comme le nouveau Galilée que voyait en lui Bruno Latour, mais plutôt comme une personne ambiguë passant du statut de scientifique reconnu, physico-chimiste partenaire de l’industrie – en particulier pétrochimique pour la détection des microquantités de substances – à celui de prédicateur s’en prenant tout à la fois à la surpopulation et au lien supposé avec les progrès de l’agriculture, tout en récusant les tentatives de contrôle des pollutions au nom de l’autorégulation de Gaïa. Si elle suit quant à elle un trajet assez voisin, Lynn Margulies semble surtout avoir apporté la caution biologique qui manquait. Un chapitre entier leur est consacré.

Le dernier grand chapitre de l’ouvrage, « Une philosophie et une politique de la nature au cœur d’une vaste transformation culturelle », est certainement le plus novateur et celui qui reflète le mieux les efforts de l’auteur pour se libérer de l’étau formé par les deux récits antagonistes. Selon Dutreuil, l’intérêt principal de l’hypothèse Gaïa et de sa longue histoire est d’avoir décloisonné les savoirs et les approches dans la description d’un même objet, permettant une sorte de cohabitation de la modernité scientifique et de son adversaire, l’antimodernité subjective. En effet, la transformation culturelle profonde que l’on note depuis les années 1970 brasse les savoirs de diverses origines. L’auteur avoue lui-même qu’il ne cerne guère mieux Gaïa après cette enquête qu’avant de s’y lancer. Mais, à défaut d’une définition qui partout ailleurs en science serait nécessaire, apparaît, aux yeux de l’auteur, une « nouvelle conception de la Terre », en fait une sorte de cadre global. On doit alors accepter le caractère hétéroclite des contenus de cette conception, leur facile réfutation et pourtant leur capacité de survie. Force est de constater que ce chaos intellectuel fonctionne, puisqu’il possède une dynamique reconnue ; c’est donc qu’il fait appel à une subjectivité forte partagée par beaucoup bien plus qu’à un questionnement rationnel. C’est bien ce qu’invoque Bruno Latour, inspirateur de cet ouvrage et abondamment cité, avec la proposition d’une « cosmogonie-théogonie-théologie naturelle ».

Reste à savoir si Gaïa a réellement contribué à cette modification radicale de la conception de la Terre, ou si elle s’y est trouvée passivement entraînée dans un mouvement plus vaste de modification profonde de la pensée occidentale relative à notre planète. Presque tout ce que recouvre à son début l’hypothèse Gaïa n’existait-il pas avant son apparition ? La notion de Terre vivante est ancienne... Les recherches engagées n’auraient-elles pas connu[...]

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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