NASSER GAMAL ABDEL (1918-1970)
Au jour de sa mort, le 28 septembre 1970, une émotion intense et presque unanime dans le monde rend hommage à Gamal Abdel Nasser, homme d'État, grand patriote, homme d'honneur, deuxième – après Mohammed Ali – parmi les créateurs de l' Égypte moderne, formateur de l'unité arabe, dirigeant éminent du mouvement afro-asiatique et de la lutte anti-impérialiste dans le monde, haute figure de la renaissance de l'Orient – essentiellement, chef de la révolution nationale égyptienne à laquelle il sut imprimer un cours radical orienté vers l'option socialiste.
Pourtant, les motifs ne manquent pas pour dresser un constat de carence, et en tout premier lieu l'occupation du territoire national égyptien jusqu'au canal de Suez, paralysé, à la suite de la guerre de juin 1967 et de la défaite éclair égyptienne. L'opinion occidentale, pour sa part, n'oubliera pas Suez (1956) et la résurgence du « nationalitarisme » arabe qui fournit, entre autres, son armature au Front de libération nationale algérien.
Comment rendre compte de ce divorce ? On invoquera tour à tour le hiatus entre l'Orient et l'Occident, la récusation par l'Occident de tout ce qui se pose en s'opposant à son hégémonie, les impératifs de l'autocratie. Le divorce est tel qu'il faut faire référence au cadre général de l'affrontement mondial dont Gamal Abdel Nasser fut l'un des hommes charnières, comme aussi aux luttes qui accompagnent la restructuration de la société égyptienne, et ce à partir d'une personnalité complexe, à la mesure de l'héritage national culturel de l'Égypte.
Une percée fulgurante
De sa naissance, le 15 janvier 1918, dans la famille d'un humble fonctionnaire des Postes, à Banī Morr, au cœur de la haute Égypte, patrie des grands pharaons, à sa mort, à ces funérailles du 15 octobre 1970 qui furent, par le concours du peuple réuni, une des plus grandes manifestations politiques de l'histoire mondiale (six millions d'ouvriers, de fellahs, de jeunes scandant les mots d'ordre de socialisme et de révolution : « Avec l'armée, avec le peuple, nous continuerons notre route ! »), la vie de Gamal Abdel Nasser apparaît comme une percée fulgurante, imprévue, brutalement stoppée par les effets de l'épuisement.
Il vécut son enfance à Alexandrie, métropole cosmopolite et bariolée, et fit ses études primaires et secondaires au Caire, au cœur de la ville islamique. Au moment de la grande vague insurrectionnelle qui déferle sur le pays en 1935, il prend la tête de l'Union des étudiants du secondaire qu'il mène au combat contre la dictature du grand capital (Ismaïl Sidky) ; blessé à la tête, il continue la lutte contre le traité anglo-égyptien de 1936. L'Académie militaire est enfin ouverte aux fils des humbles par le Wafd : Nasser fait partie de la première promotion, dont il est major. Sous-lieutenant à Mankabād, il y forme le premier noyau d'officiers patriotes (Anouar el-Sadate, Zakariyya Mohieddin, notamment) qui font serment de « libérer l'Égypte ». Capitaine, professeur à l'Académie militaire, breveté de l'École de guerre (1947), il est lieutenant-colonel pendant la première guerre de Palestine (1948), et s'illustre par une résistance héroïque à Falouga, où il est grièvement blessé. Depuis 1939, une génération de jeunes Égyptiens cherche les voies de la libération et de la révolution : tandis que la gauche se regroupe autour du Comité national des ouvriers et des étudiants et que la droite intégriste se reconnaît dans la confrérie des Frères musulmans, le centre wafdiste vacille, tolère la mainmise du Palais et le scandale des armes défectueuses. La défaite de 1948 va amener la constitution de l'organisation des Officiers Libres, faisant écho à cette interrogation brûlante de l'écolier[...]
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Écrit par
- Anouar ABDEL-MALEK : maître de recherche au C.N.R.S., chargé d'enseignement à l'université de Paris-VII
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