GANDHĀRA
Dans l'Inde ancienne, « Gandhāra » désignait une région située à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan actuels. Elle comprenait essentiellement, de part et d'autre de l'Indus, les territoires correspondant aujourd'hui aux districts de Peshāwar et de Rawalpindi, dont les centres étaient respectivement Puṣkālavatī (Chārsadda) et Takṣaśila (Taxila) ; elle devait en outre s'étendre à l'ouest jusqu'à la Kunar et englober au nord la vallée du Swāt, deux affluents du Kābul qui, à son tour, s'unit à l'Indus. De la préhistoire aux temps modernes, les pas des envahisseurs attirés par la riche plaine indo-gangétique ont sans répit résonné sur le sol du Gandhāra. Vers ~ 518, il fut annexé à l'empire achéménide. Deux siècles plus tard, les troupes d'Alexandre de Macédoine le sillonnèrent et, à la suite de l'échec de Séleucus Ier face à Candragupta Maurya, il constitua, avec des provinces voisines, la « région du Nord » du premier empire indien unifié. Quand ce dernier s'effondra, des Gréco-Bactriens, puis des Śaka d'origine scythe s'y installèrent, poussant leurs conquêtes jusqu'en Inde centrale. Enfin, peu après le début de l'ère chrétienne, semble-t-il, et pour trois siècles environ, le Gandhāra se trouva au cœur même de l'empire Kuṣāṇa, carrefour des voies de commerce et de civilisation au milieu du continent asiatique. Bien que leurs ancêtres, issus des confins chinois, eussent autrefois chassé les princes grecs de Transoxiane et de Bactriane et contraint ceux-ci à chercher fortune en terre indienne, les Kuṣāṇa faisaient figure de philhellènes tout en pratiquant la tolérance religieuse à l'égard des peuples qu'ils gouvernaient, de la mer Caspienne au Bengale.
Sous Aśoka Maurya (~ 264 ?-~ 226 ?), le bouddhisme s'était implanté au Gandhāra ainsi que dans les cantons limitrophes, et avait fait de ces régions une seconde Terre sainte, en y localisant des vies antérieures (jātaka) du Bouddha. Sous les Kuṣāṇa, un art tout imprégné de formules plastiques hellénistiques s'épanouit là : en grande partie voué au bouddhisme, il donna forme à l'effigie du Maître jusqu'alors rigoureusement proscrite de l'imagerie indienne. Les observateurs, au xixe siècle, qualifièrent cet art de « gréco-bouddhique » ; il parut être d'abord un phénomène isolé, puis l'on s'interrogea sur ses antécédents dont on pressentait la complexité. La découverte dans le bassin de l'Amou-Daria (l'Oxus des Anciens), tant du côté des républiques d'Asie centrale que du côté afghan, de vestiges de monuments grecs autorise à penser qu'un art hellénistique enraciné en Asie centrale s'est développé sans discontinuité, et parallèlement à l'art gréco-romain en Méditerranée, à l'art parthe en Iran et à l'art paléo-chrétien en Occident, sous le patronage de rois grecs ou hellénisés, puis des Kuṣāṇa, leurs successeurs ; l'éclectisme religieux de ces derniers a favorisé, là où le bouddhisme était à l'honneur, la formation d'ateliers illustrant un art qui leur était familier, mais sur lesquels ne pouvaient manquer de peser de multiples influences en une période d'activités militaires, diplomatiques, commerciales et intellectuelles particulièrement intenses.
Cependant, d'importants problèmes restent posés aux spécialistes. Ils n'ont pu déterminer encore ce qui, dans les inégalités de qualité de la production « gandharienne » (dont l'aire débordait en réalité le Gandhāra proprement dit) et dans les variantes de son inspiration, rélève plus précisément des particularités d'écoles ou des phases différentes d'une évolution continue. Toutefois, on admet que son épanouissement coïncida avec le règne de Kaniṣka, le plus illustre[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Rita RÉGNIER : chargée de recherche au CNRS, chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
Classification
Média
Autres références
-
AFGHANISTAN
- Écrit par Daniel BALLAND , Gilles DORRONSORO , Encyclopædia Universalis , Mir Mohammad Sediq FARHANG , Pierre GENTELLE , Sayed Qassem RESHTIA , Olivier ROY et Francine TISSOT
- 37 316 mots
- 19 médias
...vient à notre secours, presque à la même époque, est celui de l'historien grec Hérodote, qui parle non seulement de certaines régions comme Gandarioi ( Gandhara), mais aussi de peuples occupant ces régions, que certains historiens modernes ont essayé, avec plus ou moins de succès, d'identifier à certaines...