GARCILASO DE LA VEGA (1503-1536)
Par un ensemble de circonstances historiques, sociales et aussi familiales, le Castillan de pure race qu'était Garcilaso de La Vega devait incarner de la façon la plus parfaite un idéal humain dont le modèle était italien. Parachevant la tentative italianisante d'un de ses aïeux, il allait, en outre, imposer à la poésie traditionnelle espagnole une profonde révolution dont l'innovation métrique n'est que le caractère le plus apparent. Curieux destin que le sien : fils d'une terre sèche, pauvre et ingrate, il devait transmettre la vision délicieuse d'une nature éternellement verte et fleurie ; fils d'une terre rude, âpre et austère, il trouva les accents de lyrisme le plus mélodieux et le plus caressant ; fils d'une terre mystique et guerrière, il exalta l'amour et la vie. Sa poésie profane, sentimentale, humaine, introduisait, dans une Espagne spirituelle et chrétienne, la sensibilité exacerbée de la plus païenne des Renaissances.
« Prenant tantôt la plume, tantôt l'épée... »
Lorsque Garcilaso de La Vega naît à Tolède, Colomb revient d'Amérique pour la quatrième fois et Cortés s'embarque pour le Mexique : en Espagne, c'est l'aube d'un grand siècle et le début d'un grand empire. Dans ce pays enfin unifié, les origines de Garcilaso le placent au plus haut de l'échelle sociale du temps. Dans la galerie des ancêtres, l'enfant poète peut contempler, rêveur, les portraits du marquis de Santillane et du célèbre historien Pérez Guzmán. Avec la noblesse de sang, Garcilaso n'héritait pas seulement d'un titre mais d'une destinée.
Des trois débouchés que l'Espagne offrait aux jeunes nobles d'alors, le sort l'achemina à la Casa real : c'est un adolescent de dix-sept ans lorsqu'il entre, en 1520, dans la garde royale, découvrant par ce biais la vie de cour. À partir de cette date, il vivra, dans le sillage de l'empereur, les heures les plus glorieuses de l'Espagne. Sa vie d'homme jeune allait coïncider en effet avec les vingt premières années du règne de Charles Quint, années d'expansion triomphante et d'ouverture optimiste sur l'Europe. De nombreuses campagnes ou expéditions militaires, un rôle d'ambassadeur, d'incessants va-et-vient d'Espagne en Italie et d'Italie en Espagne, c'est un véritable déracinement qui donne à sa vie un cadre aux larges dimensions européennes. Son lyrisme aussi fera craquer les frontières nationales. En 1532, Garcilaso aboutit à Naples après maintes péripéties, dont un exil dans une île du Danube : il ne lui reste plus que quatre années à vivre, les plus décisives et les plus fertiles, celles de la création poétique sous le signe napolitain.
C'est par le dualisme vécu du poète-soldat que Garcilaso est homme de la Renaissance et modèle prestigieux de l'idéal humain que Castiglione a lancé aux quatre coins de l'Europe. Vivant la double vocation qui, chez un Ronsard, ne restera qu'un rêve, Garcilaso semble abolir l'éternel conflit des lettres et des armes. Pourtant, de ces deux vocations, l'une est marquée du doute : chez ce soldat de l'empereur, la muse n'est pas guerrière comme elle le sera chez son cadet Hernando de Acuña. À aucun moment la poésie de Garcilaso n'est le reflet du grand rêve impérial. Les quelques accents épiques que lui inspire la maison d'Albe – expression de la circonstance et de la gratitude mêlées – compensent mal l'évocation d'un Mars « cruel », « féroce » et « sanglant », et, au-delà des clichés littéraires, la tragique conscience de l'inutilité du sang versé peut rendre songeur :
Qui de nous n'est déjà touché par cet excès de guerres, d'exils et de dangers ? Qui n'est las de leur longue durée ? [...]
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Écrit par
- Annie FREMAUX-CROUZET : Maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice
Classification
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