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GARCILASO DE LA VEGA (1503-1536)

Le double culte de l'amitié et de l'amour

En marge des contraintes quotidiennes, l'exercice poétique fut le refuge temporaire, mais vital, de sa sensibilité blessée par les spectacles et le bruit d'un monde excessivement guerrier ou mondain. Instant privilégié où il pouvait enfin n'être qu'un homme ! Aussi ses poèmes nous livrent-ils toute la richesse d'une vie intérieure intense, et les mille nuances d'une âme sentimentale : la poésie de Garcilaso est avant tout humaine et cordiale. C'est un culte rendu à l'amour et à l'amitié. En cela, l'œuvre entière s'inscrit, de façon essentielle, dans le courant humaniste du siècle qui aspire à ce que rien de ce qui est humain ne lui soit étranger.

Son amitié pour le poète Boscán est passée à la postérité. Comme un démenti à la méfiance des « mépris de cour », Garcilaso découvre ensemble la cour et l'amitié. Ce sentiment sera, dans ses vers, moins un thème que l'expression simple d'un dialogue ininterrompu en dépit de la distance et du temps. L'authenticité et la spontanéité de cette amitié nous confirment d'ailleurs un humanisme intériorisé qui tente de recréer l'idéal antique d'une vie où ce sentiment avait une place de choix. Miracle de l'amitié entre poètes : les conseils de Boscán n'allaient pas être vains.

L'amour est cependant le centre de son lyrisme, un amour contrarié, triste et douloureux. Garcilaso fut sans doute un sentimental, mais, lui qui avait reçu entre toutes les grâces l'inestimable don de charmer les esprits et les cœurs, eût-il, sans Pétrarque, choisi d'être le chantre mélancolique de l'amour malheureux ? Dans l'intimité poétique du poète et de sa dame, Isabel Freyre, la belle et noble suivante portugaise, s'interpose inéluctablement l'ombre de Laure. C'est qu'il a lu dans le Canzoniere son propre drame de l'amour impossible et le chemin poétique de sa guérison. L'imitatio se nourrissait aux sources mêmes de la vie. Ainsi la délicate complexité de sentiments vécus de façon nouvelle devait se couler parfaitement dans des moules mieux adaptés. L'hendécasyllabe des églogues, chansons et sonnets n'est pas une simple technique importée, comme chez Boscán, c'est une nouvelle sensibilité qui naît dans la lyrique espagnole.

Garcilaso a recours à la pureté du mythe pour transposer poétiquement l'histoire, somme toute banale, de sa frustration amoureuse. L'éloignement idéal de la pastorale et de la mythologie donne en outre à sa plainte un tour plus conforme aux lois de la pudeur virile et de la discrétion courtoise. In vita, in morte, la solitude du cœur est la même : Galatée, Camille disent l'indifférence de la dame ; Daphné végétalisée, Eurydice mortellement blessée, l'irréparable d'une mort qui n'est plus, comme chez Pétrarque, séparation momentanée mais absence éternelle. Comment n'inspirerait-elle pas les accents les plus poignants, les images les plus poétiques chez un poète pour qui la douleur, dans une expression sobre et dépouillée, devient la source même de l'esthétique ?

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