GARGANTUA (F. Rabelais) Fiche de lecture
Ancien moine devenu médecin à l'hôtel-Dieu de Lyon, l'humaniste François Rabelais (1483 ?-1553) publie anonymement en 1534 ou 1535 son Gargantua. Le sous-titre, La Vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée par l'Abstracteur de quinte essence, suggère le désir de l'auteur d'exploiter le succès de son premier roman, Pantagruel (1532), et d'un opuscule anonyme paru à Lyon en 1532, Les Grandes et Inestimables Cronicques du grant et enorme geant Gargantua, parodie assez grossière de l'historiographie contemporaine, qui mettait pour la première fois en scène le bon géant. Mais si ce livret suggère à Rabelais certains épisodes, Gargantua fait surtout écho aux débats idéologiques nés des progrès de l'humanisme sous François Ier, et au conflit qui oppose la Sorbonne, puissante faculté de théologie gardienne de l'orthodoxie, aux partisans d'une réforme évangélique de l'Église, proches d'Érasme ou de Luther. Contemporain de la tragique « affaire des placards » (affichage de tracts anticatholiques dans plusieurs villes) qui déclenche une brutale répression de François Ier contre les protestants et oblige Rabelais à voyager pour se mettre à l'abri des poursuites, le livre constitue, au moins dans sa première version, une charge cinglante contre les « sorbonistes » et contre les ordres monastiques, tenants du conservatisme pédagogique et religieux. L'œuvre sera prudemment édulcorée par l'auteur en 1542.
Un roman de formation, une épopée parodique
À la manière de ses maîtres, les Grecs Diogène, Lucien de Samosate et l'humaniste Érasme, Rabelais choisit de traiter ces questions par la facétie et l'ironie joyeuse : après le fameux dizain « Au lecteur », qui rappelle que « rire est le propre de l'homme », et le prologue invitant à « rompre l'os, et sucer la substantificque mouelle », Gargantua est d'abord le roman d'une éducation. L'esprit merveilleux du fils de Grandgousier et de Gargamelle s'étant révélé par « l'invention d'un torchecul », on assistera aux étapes successives de sa formation, des jeux de la prime enfance au triomphe du prince devenu adulte. Son premier précepteur, le théologien Tubal Holoferne, ne sachant qu'abrutir l'enfant par ses méthodes scolastiques héritées de l'Université, son père l'envoie étudier à Paris « sous autres pédagogues ». Le voyage est l'occasion d'épisodes burlesques ; l'énorme jument de Gargantua abat l'ancienne forêt de Beauce et la « réduit en campagne » : « Sa jument estoit grande comme six Oriflans et avait les pieds fenduz en doigtz, comme le cheval de Jules César, les aureilles ainsi pendentes comme les chievres de Languegoth et une petite corne au cul. » Puis le géant attache les cloches de Notre-Dame au col de sa jument et Janotus de Bragmardo, docteur de Sorbonne, lui adresse une ridicule harangue pour l'inviter à rendre les cloches...
Après une nouvelle satire des « professeurs sorbonagres » et de leurs méthodes stériles, le diligent Ponocrates prend en main l'éducation du géant, et organise son emploi du temps pour en faire à la fois un parfait humaniste et un gentilhomme accompli. Mais voici qu'une querelle entre marchands de fougasses dégénère en « grosses guerres » et oblige Grandgousier à rappeler son fils pour combattre son voisin Picrochole, assoiffé de conquêtes. Le roman de formation se change alors en épopée parodique et en fable politique sur l'attitude du prince chrétien confronté à la guerre. Au terme d'une série d'exploits héroï-comiques, Gargantua, assisté du courageux frère Jean des Entommeures, emporte la victoire. Sa mansuétude a l'égard des vaincus n'a d'égale que sa générosité envers ses bons serviteurs : pour frère Jean, il fonde l'abbaye de Thélème (en grec, volonté[...]
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Écrit par
- Jean VIGNES : Professeur de littérature de la Renaissance à l'université du Maine
Classification
Média