WINOGRAND GARRY (1928-1984)
Avec Lee Friedlander, l'homme qui n'hésite pas à nous perdre dans le dédale de vitrines des grandes villes américaines marquées de son autoportrait en ombre portée, Garry Winogrand a incontestablement bouleversé, aux États-Unis puis dans le monde entier, le statut de la photographie de rue. Il faut, pour comprendre ce que furent ses audaces, concevoir que la tradition américaine de la photographie était centrée, avec des noms aussi imposants qu'Ansel Adams, sur le travail techniquement parfait à partir d'un matériel en grand format, volumineux et délicat, et sur l'éloge de la nature américaine violée par le modernisme. Dans le domaine du reportage, cette tendance est marquée par l'utilisation, jusqu'à la fin des années 1950, d'appareils de moyen format, relativement peu maniables, mais à la définition technique et aux résultats irréprochables : une manière de formalisme peu enclin à une réflexion approfondie sur les thèmes abordés. Que deux photographes talentueux décident à la fois de travailler avec des appareils ordinaires et d'être reconnus comme artistes apparut comme une véritable révolution, voire une provocation, dans le monde de la photographie d'outre-Atlantique. Pourtant, aujourd'hui, l'essentiel de la photographie du « réel » aux États-Unis emprunte amplement au style de Winogrand, qui fut à la fois un photographe un enseignant et un théoricien important de l'image fixe.
Garry Winogrand est né à New York en 1928. Il s'initia à la peinture au collège de la cité. En 1947 et 1948, il fréquenta l'université de Columbia à New York avant de devenir photographe dans le lieu mythique que fut, sous la conduite du directeur artistique Alexey Brodovitch, la New School for Social Research. Après avoir effectué son service militaire, Garry Winogrand devient reporter et travaille, entre autres, avec l'agence Pix de New York qui l'envoie quelque temps dans son bureau de Los Angeles. Il commence à enseigner dès 1969 à la School of Photography of Art Institute de Chicago, puis à l'université d'Austin au Texas, qui exposera fréquemment ses photographies et publiera de remarquables catalogues de son œuvre. Des expositions personnelles – tout particulièrement au musée d'Art moderne de New York et à la Light Gallery à New York –, des séries de conférences, une inlassable réflexion sur la photographie ont imposé Winogrand comme le plus influent des critiques contemporains aux États-Unis. Il n'est pas exagéré d'affirmer qu'il a été l'un des inventeurs d'une école américaine de critique photographique.
En 1969, sa première exposition au musée d'Art moderne de New York, consacrée aux animaux, toute de rencontres inopinées, de gags visuels et gestuels, de contradiction amusée entre l'humain, le mouvement, l'enfermement et le portrait, est devenue une référence de l'instantané. Parce qu'elle s'attachait à défier précisément les règles convenues et qu'elle trouvait d'autres formes expressives moins guindées, plus mystérieuses et moins soucieuses de véracité, sa photographie grouillante ou épurée a fait école. Après que Robert Frank eut « revisité » l'Amérique en émigré soucieux de bouleverser la forme par l'émotion, Winogrand et Friedlander renvoyèrent aux Américains une image brouillonne et dynamique d'eux-mêmes, une image perturbant les conventions de l'americanway of life, refusant l'ordre établi, la belle composition, la perfection des matières. Une photographie directe qui, parce qu'elle est une réflexion sur le médium autant que sur les sujets choisis, s'affirme comme majeure dans les années 1960 et 1970. Une photographie politique qui, comble du paradoxe, devint objet de collection alors qu'elle soulignait les contradictions d'une société dont[...]
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Écrit par
- Christian CAUJOLLE : directeur artistique de l'agence et de la galerie Vu, Paris
Classification
Autres références
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- Écrit par Michel GUERRIN
- 1 370 mots
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