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BACHELARD GASTON (1884-1962)

Une exploration de l’imaginaire

Il reste que cette voie de la philosophie des sciences, qui a pris part aux controverses les plus fondamentales avant 1950, ne comble pas Bachelard. Encouragé par des collègues comme Gaston Roupnel, historien des campagnes françaises, à l’université de Dijon, il ne parvient plus à négliger dans son travail académique ce qui l'habite et l'anime en profondeur : l'imagination rêveuse au contact de la nature, les œuvres artistiques, surtout poétiques.

Naît alors une seconde œuvre. Souvent rangée du côté des sciences littéraires, elle se révèle une défense et illustration de la face nocturne de l'homme, qui ne se réduit pas aux rêves de la nuit. Elle nous fait descendre vers l'inconscient, vers la mort, mais aussi vers les forces de vie, de joie, de surexistence, au point de faire entrer dans notre solitude première le cosmos tout entier. Gaston Bachelard ne double pas seulement son travail de philosophie scientifique d’une philosophie de la création artistique et de sa réception. Il livre à travers les expériences de l'imaginaire des éléments, formes et mouvements, une méditation sur l’existence, la vie et la mort, l'enfance et la mémoire, le travail et le repos, le masculin et le féminin, mais aussi sur l'être et le non-être, le fini et l'infini, jetant ainsi les linéaments d'une métaphysique concrète, qui n'est pas sans rapport avec celles d'un Bergson, d'un Sartre ou d'un Heidegger.

Avant de s’adonner à ce projet d’une exploration complémentaire de l’imagination poétique exclue de la science, Bachelard a rencontré la question de la temporalité, largement développée par Bergson. Déjà, l’expérience du langage poétique l’incite à s’opposer à la primauté de la durée bergsonienne en posant la réalité de l’instant discontinu. L’enquête sur le temps le conduit même, dans La Dialectique de la durée (1936), à systématiser sur un plan scientifique et métaphysique cette structure discontinue du temps qui renvoie à une source universelle, le rythme, et à sa racine la vibration, qui lui permettent d’esquisser les contours d’une rythmanalyse, riche de propositions qui touchent aussi bien, outre aux sciences, à la musique qu’à la psychologie.

Dès La Psychanalyse du feu (1938), son premier ouvrage consacré à l’imaginaire, combattu dans la rationalité mais source de la poétique, Bachelard convoque conjointement la psychanalyse freudienne (qui lui apparaîtra plus tard comme réductrice) et la psychologie des profondeurs de C.G. Jung. À partir d'une herméneutique symbolique des éléments, il décrit les processus imaginatifs qui traversent le sujet en connectant son histoire personnelle (particulièrement son enfance rêvée) à des réseaux de signification d’images transindividuelles, dont témoignent les mythes. Bachelard développe ainsi progressivement une psychologie de la création, qui retrouve l'inspiration de la « fantastique transcendantale » chère au poète romantique Novalis.

Bachelard répète souvent qu'il faut « expliquer les rêves par les rêves ». Cela ne l'empêche pas, dès La Psychanalyse du feu, d'annoncer un projet de rationalisation de l'imaginaire – une véritable science de la création poétique, dont la syntaxe et la sémantique seraient formulables par des lois. Si Bachelard a, par la suite, renoncé à pareille systématisation pour lui substituer une approche plus phénoménologique, influencée par Husserl, c'est encore pour saisir des conditions formelles et transcendantales de la rêverie.

La créativité de l'imagination, au sens d’une faculté de déformer les images, apparaît donc comme rationalisable, du fait de propriétés clairement identifiables :

– d'abord, les images, loin de se réduire à des résidus perceptifs passifs ou nocturnes, se[...]

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Gaston Bachelard - crédits : Éditions Corti, 1984

Gaston Bachelard

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