MIRON GASTON (1928-1996)
Parmi les écrivains québécois, Gaston Miron n'est pas le plus connu (du moins hors du Québec), ni celui dont l'œuvre est la plus abondante, ni le plus novateur, le plus « sauvage » ou le plus débridé, mais il est peut-être le plus poète et le plus québécois. Car son œuvre, ainsi que la trajectoire de son existence et même sa présence physique, se sont confondues avec l'affirmation de l'identité québécoise. Sa poésie est reconquête d'un pays, invention d'une patrie.
Né à Sainte-Agathe-des-Monts, « dans les vieilles montagnes râpées du Nord », issu d'une famille de ce Québec rural où l'on était traditionnellement paysan, trappeur, bûcheron, Gaston Miron a été, comme beaucoup de sa génération, attiré par la grande ville, et il est venu, en 1947, s'installer à Montréal pour y exercer divers métiers et, peu à peu, y découvrir sa voie, dans un double engagement dont les deux composantes, politique et poétique, sont intimement associées. Ses premiers poèmes sont publiés dans des journaux et des revues comme Le Devoir ou Amérique française. Surtout, il devient, en 1953, l'un des fondateurs et le principal animateur des éditions de l'Hexagone (le nom n'a évidemment aucun rapport avec la forme de la carte de France : il évoque l'égalité de principe des six cofondateurs). Très rapidement, l'Hexagone rassemble autour d'un projet commun (fonder le pays québécois, inventer une parole québécoise) les poètes qui veulent agir par la poésie et participer aux luttes militantes. Son influence a été déterminante pour donner cohérence et ampleur à la jeune littérature québécoise. Miron y publie, en collaboration avec Olivier Marchand, un premier recueil : Deux Sangs. Il commence aussi la rédaction de grands cycles poétiques (La Batêche, La Marche à l'Amour, La Vie agonique) dont il détache des fragments qui paraissent en revue (notamment dans Liberté et Parti pris) et qu'il fait connaître par des récitals et des lectures publiques. En même temps, on le rencontre dans pratiquement tous les mouvements politiques de tendance indépendantiste (Rassemblement pour l'indépendance nationale ; Mouvement de libération populaire ; Parti socialiste québécois ; etc.). Militant séparatiste légendaire à Montréal, poète reconnu par un public chaleureux, il construit cette figure que célèbre le poète Jacques Brault dans une conférence mémorable de 1966 : Miron le Magnifique. Volubile, gesticulant, prompt à se répandre en imprécations, laissant déferler un rire qui balaie toute opposition, Miron incarne, dans sa personne même, la vitalité des Québécois et leur volonté de s'affirmer. Il est emprisonné au moment de la grave crise d'octobre 1970, quand le Front de libération québécois passe à l'action violente. Mais cette même année, le rassemblement dans L'Homme rapaillé de ses poèmes éparpillés et de proses de réflexion et de combat confirme sa stature de poète québécois majeur. Un second recueil poétique, Courtepointes, paraît en 1975. Une édition française de L'Homme rapaillé, en 1981, rencontre une audience remarquable.
La poésie de Gaston Miron est parole arrachée vive à l'action, insurrection du langage contre le sentiment de la dépossession de soi-même. Elle ne vise pas à produire une œuvre achevée. Elle cherche à rassembler, à réunifier des éléments qui ont été dissociés, partagés, dispersés, aliénés. Ce qu'indiquent clairement les titres des deux recueils. Car « rapailler », c'est rassembler des éléments épars, refaire ce qui a été détérioré. Et les « courtepointes » du Québec sont couvertures de lit, somptueuses parfois, mais fabriquées traditionnellement en cousant ensemble des pièces plus ou moins disparates.
Le disparate des recueils s'explique par les nécessités[...]
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Écrit par
- Jean-Louis JOUBERT : professeur à l'université de Paris-XIII
Classification
Média
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