MONNERVILLE GASTON (1897-1991)
Un mot, un seul mot — « forfaiture » — peut-il résumer un homme ? Un homme sans doute non, mais à coup sûr un destin. Le jour où Gaston Monnerville monte à la tribune du congrès radical à Vichy pour s'opposer au projet de référendum du général de Gaulle qui instaurera l'élection du président de la République au suffrage universel, il fait plus que prononcer un discours. Ce refus intransigeant est le symbole de toute une vie empreinte d'indépendance, de respect du droit et d'un amour sans réserve pour la République. « À la tentative de plébiscite, clame le président du Sénat, je réponds personnellement : non ! La motion de censure m'apparaît comme la réplique directe, légale, constitutionnelle, à ce que j'appelle une forfaiture. » Né le 2 janvier 1897 à Cayenne, Gaston Monnerville est le fils d'un fonctionnaire martiniquais. Très vite il quitte le collège de la ville pour aller poursuivre ses études en métropole, au lycée puis aux facultés de Toulouse. Plus tard il aimera rappeler : « Le fils d'outre-mer que je suis doit tout à la République, c'est elle qui, dans ma Guyane natale, est venue nous apporter la dignité et la culture. C'est elle qui m'a tout appris et qui a fait de moi ce que je suis. » Amoureux des mots et des lois, Gaston Monnerville, après une licence de lettres et un doctorat de droit, choisit de devenir avocat. Inscrit au barreau de Toulouse à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, il ne tarde pas à rejoindre Paris où il sera notamment secrétaire de la Conférence des avocats. Mais ce n'est ni à Toulouse ni à Paris que sa carrière va changer de cap, c'est à Nantes, où il défend les « émeutiers de Cayenne » devant les assises en obtenant leur acquittement. En 1932, il devient député de Guyane et maire de Cayenne, et le restera jusqu'en 1940. Il sera même ministre, ou plutôt sous-secrétaire d'État aux Colonies, dans deux cabinets Chautemps en 1937 et 1938. Gaston Monnerville en profite pour fermer le bagne de Cayenne. Plus tard, il obtiendra le statut de département pour sa Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion.
Engagé volontaire dans la marine, il est empêché d'aller à Vichy voter contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il ne peut franchir la ligne de démarcation ; une affaire de couleur de peau... Gaston Monnerville s'engage alors dans le réseau de résistance Combat et terminera la guerre à la tête d'un maquis de F.F.I. dans le Massif central. Élu à la Libération à l'Assemblée consultative (1944) puis aux deux assemblées constituantes (1945-1946), il devient sénateur de la Guyane en 1946. Gaston Monnerville restera vingt-deux ans au palais du Luxembourg, dont vingt et un à la présidence de la Haute Assemblée.
Si l'on a retenu son opposition à de Gaulle, on oublie parfois que Gaston Monnerville a participé au retour au pouvoir du général. Lorsqu'en 1958 le président René Coty envisage de rappeler l'« ermite de Colombey », il lui envoie deux émissaires, les deux présidents des assemblées, André Le Troquer et Gaston Monnerville, qui le rencontreront nuitamment à Saint-Cloud. Les relations entre le président du Sénat et le général de Gaulle ne tarderont pas à s'aigrir lorsque ce dernier refusera de solliciter l'investiture de son gouvernement. Si ce n'est une forfaiture, c'est pour le moins, aux yeux de Gaston Monnerville, une mauvaise manière.
Lorsqu'en 1962 le général de Gaulle fait appel au référendum pour contourner l'opposition du Parlement à son projet de révision de la Constitution, l'affrontement devient inévitable. Gaston Monnerville explique ainsi, le 9 octobre 1962, le fond de sa pensée : « La Constitution est violée, le peuple est abusé. Ce n'est pas une République qu'on nous propose, c'est au mieux un bonapartisme éclairé.[...]
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Écrit par
- Christian SAUVAGE
: chef du service politique du
Journal du dimanche
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