GAY PRIDE
Une mobilisation massive
Pour pallier la désaffection de la marche et sa récupération par les entreprises gays qui en ont fait un défilé exclusivement festif, un comité Gay Pride est créé en 1989 ; c'est une fédération tripartite présidée par Jean Le Bitoux (fondateur de Gai Pied), qui regroupe associations, organes de presse et structures commerciales. Ainsi s'explique sans doute le fait que la Gay Pride de 1989 connaît une affluence bien supérieure à celle de toutes les marches de la décennie qui s'achève. C'est aussi l'année où Act Up fait son apparition dans le cortège, au travers d'un die-in (pratique consistant à simuler la mort pour figurer les ravages de l'épidémie de sida), qui constitue également l'acte de naissance de l'association, première à se réclamer d'un « point de vue homosexuel » sur la maladie. Désormais, elle participera chaque année à la manifestation, cherchant à y imposer la question du sida. Dès l'année suivante, elle apparaît comme l'une des composantes majeures du cortège. Forte de cette visibilité, elle fera pression sur les organisateurs de la marche pour qu'ils fassent du sida leur mot d'ordre officiel, inaugurant un conflit sur ce thème qui durera de nombreuses années.
En 1991, le comité Gay Pride est remplacé par une association de même nom, composée non plus de structures mais de personnes physiques, dont l'activité principale sera l'organisation de la manifestation. Mais cette association connaît d'emblée des conflits de sens et d'intérêt avec d'autres acteurs qui souhaitent donner une signification particulière à l'événement ou qui cherchent à tirer profit de son potentiel mercantile. En 1991, la participation à la marche augmente. En effet, quelques semaines plus tôt, deux sénateurs ont proposé de re-criminaliser l'homosexualité, suscitant une mobilisation immédiate, notamment à travers une manifestation d'Act Up et une pétition publiée dans Le Monde par l'association Gay Pride. En quête de légitimité autant que d'efficacité politique, celle-ci cherche à faire de la marche un outil de négociation, recensant dans un document remis aux pouvoirs publics les revendications de différentes associations homosexuelles. Elle entend par ailleurs mobiliser sur la question homosexuelle des forces qui lui sont extérieures, parvenant par exemple dès cette date à recueillir le soutien de la Ligue des droits de l'homme.
Ce travail collectif visant à transformer l'événement festif désaffecté des années 1980 en mobilisation de masse se heurte aux divisions internes au champ de l'homosexualité, auxquelles se surajoutent des conflits de personnes, et ne connaît pas un succès immédiat : les marches de 1992 et 1993 restent en deçà de la mobilisation espérée. La manifestation ne connaît un véritable essor qu'en 1994, et surtout en 1995 où tant les chiffres de la police que ceux des organisateurs (respectivement 60 000 et 80 000) signalent une multiplication par trois du nombre des manifestants par rapport à l'année précédente. Afin de corriger l'injustice faite aux femmes dans l'intitulé de l'événement, la marche est rebaptisée Lesbian & Gay Pride.
Outre le rôle déterminant de l'association organisatrice, la croissance des effectifs tient également au contexte des luttes à la fois dans le domaine de l'homosexualité et dans celui du sida. En France, l'épidémie atteint un pic en 1994, tant du point de vue de la morbidité que de la mortalité. Passées les années de sidération, les gays et les lesbiennes ont trouvé dans le mouvement associatif lié au sida un nouvel espace de militantisme qui favorise, à partir du milieu des années 1990, le regain des mobilisations spécifiquement homosexuelles. La revendication d'une reconnaissance légale des couples de même sexe[...]
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Écrit par
- Christophe BROQUA : anthropologue, docteur de l'École des hautes études en sciences sociales
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Autres références
-
HOMOSEXUALITÉ
- Écrit par Frédéric MARTEL
- 9 195 mots
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Le succès croissant de la Gay Pride parachève ce mouvement : anecdotique dans les années 1970 (la première date en France de 1977), marginale à partir de 1983 et dérisoire à la fin des années 1980, la manifestation de la « fierté » gay rassemble 10 000 personnes en 1993, 20 000 en 1994, 60 000...