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GÉNÉALOGIE DE LA MORALE, Friedrich Nietzsche Fiche de lecture

« Un écrit polémique, pour compléter et éclairer Par-delà bien et mal, récemment publié et en accentuer la portée », c’est ainsi que Friedrich Nietzsche (1844-1900) présente la Généalogie de la morale. Entre l’écriture aphoristique portée à son point de perfection dans le précédent livre et les dissertations de la Généalogie, le style a changé. Quelque chose s’est aggravé, le ton s’est radicalisé. En « vieux philologue », Nietzsche entreprend non une archéologie qui consisterait à remonter à une origine pure, mais une « généalogie ». Le généalogiste s’occupe du présent. Il cherche à révéler combien le passé inaperçu continue à agir en lui. Car présent et passé ne sont pas séparables : il serait illusoire de vouloir les distinguer. Pis, ce serait soit accepter ce qui est, la déchéance, soit le refuser au nom d’une tradition supposée meilleure. Nietzsche philosophe « au marteau » : il expérimente les concepts, les agresse afin de voir s’ils parviennent à résister aux assauts d’une critique menée au nom des valeurs positives de la vie.

L’esprit de ressentiment

« Dans quelles conditions l’homme s’est-il inventé à son usage ces deux évaluations : le bien et le mal. Et quelles valeurs ont-elles par elles-mêmes ? » C’est en « médecin de la civilisation » que Nietzsche porte son diagnostic : tout ce qui, jusqu’à présent, s’est annoncé comme morale n’est que signe de décadence, symptômes d’une vie affaiblie. Les origines du symptôme sont multiples, voire hétérogènes (historiques, religieuses, culturelles, physiologiques, philosophiques...), et les forces actives et réactives à l’œuvre dans l’histoire demeurent cachées. Le généalogiste ira donc les débusquer sous et dans les évidences les mieux ancrées dans nos habitudes ancestrales de penser et de vivre. Dans Ecce Homo (posthume, 1908), Nietzsche résume le sens des trois dissertations qui composent la Généalogie : « La vérité de la première dissertation est la psychologie du christianisme – le christianisme né de l’esprit du ressentiment [...] la grande insurrection contre la domination des valeurs aristocratiques. » Les valeurs morales sont la création de « prêtres » qui valorisent l’esprit au détriment du corps. Morale d’esclaves contre morale des maîtres. Le christianisme est donc interprété du point de vue de la morale et non plus en fonction d’une théologie de la révélation. Le « ressentiment », et Nietzsche en fait ici la véritable théorie, est ce sentiment engendré par une force qui est séparée de ses pouvoirs d’agir. Il est « esprit de vengeance », incapacité d’oublier, désir de conserver ou de retourner au passé censé se tenir plus près des véritables valeurs que le présent.

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