GÉNÉALOGIES DU BAROQUE (A. Mérot)
Avec Généalogies du baroque (Le Promeneur, Paris, 2007), une synthèse consacrée à l'histoire de la notion de « baroque » dans les arts visuels, Alain Mérot, professeur d'histoire de l'art moderne à la Sorbonne, spécialiste reconnu de la peinture française du xviie siècle et plus spécifiquement de Poussin, n'invite pas seulement le lecteur à revisiter un concept aujourd'hui très étendu, en mêlant le plaisir de la lecture à celui de l'image (avec des cahiers d'illustrations fort bien choisies qui ne reculent pas devant la provocation puisque la première est une perle baroque et la dernière le détail d'un manteau en satin de Christian Lacroix). Il donne dans le même temps, en effet, une magistrale leçon d'histoire de l'histoire de l'art, revisitant l'œuvre de nombre des grands auteurs depuis les pères fondateurs de la discipline, allemands, anglais, italiens, français et espagnols, qui ont sans cesse reformulé et enrichi le concept de baroque.
Tout commence, classiquement, par une analyse étymologique, qui fait apparaître, déjà, le caractère à proprement parler « monstrueux » qui, selon Alain Mérot, caractérise le baroque. Qu'on le tienne pour un terme issu à l'origine du vocabulaire de la joaillerie, ou qu'il soit venu, par pure invention verbale, de la scolastique du xiiie siècle, il est toujours associé à l'idée d'irrégularité et de bizarre, avec une connotation le plus souvent dépréciative. C'est notamment le cas lorsqu'au xviiie siècle on le rapproche du « gothique » ou du maniérisme en particulier dans une critique de l'ornement architectural. Mais c'est quand on en revient à l'affirmation du modèle antique que l'on condamne véritablement un « baroque » opposé au « classicisme » (dans un sens antithétique, même si ces termes ne sont pas toujours employés). C'est notamment le cas chez Winckelmann, qui introduit en outre dans son analyse une idéologie moraliste. Il faudra plus d'un siècle pour que le baroque commence à être réhabilité, dans le même mouvement qui le voit conceptualisé. Jacob Burckhardt sera le premier, dans son Cicerone (1855), à isoler la forme baroque et à l'intégrer dans une lecture globale de l'art du xviie siècle, même si c'est pour formuler à son encontre un jugement sévère et négatif. À cet égard Heinrich Wölfflin va plus loin que lui dans l'analyse de l'art non seulement comme émanation d'une civilisation (Kultur) mais encore comme possédant un devenir autonome et affine sa pensée dans différents ouvrages restés célèbres, Renaissance et Baroque (1888), L'Art classique (1899) et surtout Principes fondamentaux de l'histoire de l'art (1915). Il distingue ainsi cinq couples de catégories visuelles, cinq antinomies toutes liées entre elles, et qui lui permettent d'opposer classique et baroque : dans le domaine pictural, avec la question de la linéarité et de la clarté du contour ; dans celle de la vision, avec une distribution soit en profondeur, baroque, soit par plans successifs, classique. On en vient ainsi à faire la distinction entre une forme « fermée » et une forme « ouverte », entre la pluralité classique, où chaque élément participe d'un ensemble tout en restant parfaitement distinct, et l'unité baroque qui, en accentuant volontairement certains motifs au détriment d'autres, possède une dynamique unitaire à laquelle il est impossible d'échapper. Le classique, enfin, postule une clarté absolue, une beauté en pleine lumière, là où le baroque « évite de laisser paraître les limites de la forme en la présentant dans sa totalité ». Avec Wölfflin, le baroque, jusque-là présenté comme une dégénérescence de l'art, devenait un style à part entière.
Aloïs Riegl achève[...]
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Écrit par
- Barthélémy JOBERT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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