GÉNÉRATION
La notion de génération est une catégorie qui procède non pas de données biologiques, mais de processus sociaux et temporels. Les naissances et décès continuels, par lesquels la société se renouvelle, ne forment pas en eux-mêmes des générations. Celles-ci sont des abstractions, des produits de l'imaginaire social, dont la fonction symbolique est d'organiser le temps. Si la notion de génération est abondamment utilisée dans les médias, le langage courant et dans de nombreuses disciplines scientifiques, elle apparaît aussi polysémique que problématique dans les sciences sociales.
Du point de vue démographique, le terme est synonyme de « cohorte de naissances » et s'applique à la totalité des individus nés une même année. Mais génération et âge restent deux attributs bien distincts : on fait partie d'une même génération tout au long de sa vie tandis qu'on passe continuellement d'un âge à l'autre. Certaines sociétés traditionnelles d'Afrique, dont l'organisation sociale est régie par le critère d'âge ou de génération, instituent cette différence par l'attribution de noms distincts aux différents échelons d'âge que gravissent ses membres, tandis qu'ils conservent le nom de la génération à laquelle ils sont affectés.
Du point de vue généalogique, la génération désigne à la fois une relation de filiation et l'ensemble des personnes classées selon celle-ci. Cette définition s'applique généralement à la parentèle, mais peut être étendue à des groupes plus larges, d'âge indifférent, ayant en commun un même degré de filiation par rapport à un ensemble bien identifié. Pour prendre un exemple dans la Bible, tous les enfants de Jacob appartiennent à une même génération, même si une ou deux décennies séparent l'aîné du benjamin. L'ethnologie s'en tient généralement à ce sens, comme le fait Françoise Héritier quand elle fonde tout système de parenté sur le traitement des différences de sexe, de génération et d'âge (L'Exercice de la parenté, 1981).
En histoire, la délimitation et la définition de la génération ont fait l'objet de nombreux débats et controverses. De la fin du xixe siècle au début du xxe siècle, des réflexions et théorisations successives, issues du positivisme français ou de l'historicisme allemand, l'ont promue en catégorie et instrument de l'histoire générale des idées, des sciences, des arts, de la littérature ou de la pensée politique.
Utilisée comme mesure étalon de l'histoire, elle représente une période correspondant à la durée du renouvellement des hommes dans la vie publique ou encore au nombre d'années séparant l'âge du père de celui du fils. Généralement évaluée à trente ans, elle peut aussi se réduire à une décennie, quand elle se rapporte aux idées ou aux modes.
Karl Mannheim a inauguré un renversement de perspective décisif, dans son essai Le Problème des générations, paru en 1928. S'opposant aux conceptions de ses prédécesseurs, il récuse l'idée d'un rythme ou d'un progrès de l'histoire étalonnés par la succession des générations ou le cours de la vie humaine. Adoptant une démarche sociologique, il considère la génération à la fois comme produit et vecteur de la dynamique socio-historique. Il distingue, d'une part, les « générations potentielles », constituées de personnes nées à la même époque, qui, dans une société aux changements lents, n'émergent pas nécessairement comme ensemble social, et, d'autre part, les « générations effectives » qui se constituent lorsque surviennent des ruptures, des événements fondateurs, cristallisant « conscience historico-sociale » et identité collective. Cette imprégnation sociale et culturelle touche de manière privilégiée[...]
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Écrit par
- Claudine ATTIAS-DONFUT : sociologue, directrice des recherches à la Caisse nationale d'assurance-vieillesse
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