GENERELLE MORPHOLOGIE DER ORGANISMEN (E. Haeckel)
Sept ans après l’Origine des espèces (1859) du naturaliste anglais Charles Darwin, la publication par l’Allemand Ernst Haeckel (1834-1919) de la Generelle Morphologieder Organismen. Allgemeine Grundzüge der organischenFormen-Wissenschaft, mechanischbegründetdurch die von Charles Darwin reformirteDescendenz-Theorie (« Morphologie générale des organismes. Principes généraux de la science des formes organiques, établie de manière mécanique sur la théorie de la descendance réformée par Charles Darwin ») en 1866 marque une nouvelle étape importante dans l’histoire des sciences de l’évolution. En effet, dans cet ouvrage en deux volumes, ce jeune professeur de zoologie à l’université d’Iéna, qui s’est surtout consacré jusqu’alors à l’étude des méduses et des radiolaires (organismes unicellulaires marins), propose une nouvelle biologie, résolument fondée sur les principes énoncés par Darwin mais organisée autour des disciplines morphologiques traditionnelles, à savoir l’anatomie et l’embryologie comparées.
De fait, Haeckel déclare adhérer totalement aux vues de Darwin, c’est-à-dire à la théorie de l’évolution (ou de la « descendance », selon l’expression de l’époque) des espèces par la sélection naturelle, ce qui est déjà notable en soi, à un moment où celle-ci est récente et encore très souvent contestée par les scientifiques. Il va d’ailleurs contribuer à diffuser largement cette théorie auprès de ses collègues allemands, grâce à la Generelle Morphologie, puis auprès du grand public, avec toute une série de publications plus accessibles.
Cependant, le « darwinisme » professé par Haeckel est, par bien des aspects, très différent des conceptions de Darwin, ce qui va biaiser considérablement la réception de ces dernières en Allemagne. En premier lieu, alors que le naturaliste anglais était extrêmement prudent au sujet des implications métaphysiques de sa théorie, Haeckel revendique un matérialisme militant : l’évolution prouve selon lui que tout dans la nature, et spécialement dans le monde vivant, peut s’expliquer par les propriétés de la matière. En suggérant ainsi que l’idée d’évolution doit mener à l’athéisme, il va contribuer à radicaliser l’opposition des religions à cette théorie.
Le second point est l’accent mis sur la structure des organismes et sa mise en place au cours du développement. Darwin a reconnu l’importance de ces questions, mais il s’est surtout intéressé à des aspects populationnels. Au contraire, Haeckel place la morphologie au centre de son projet : la Generelle Morphologieder Organismen est avant tout une réflexion sur la forme des êtres vivants et son origine. Cela le conduit par exemple à définir plusieurs niveaux hiérarchiques d’individualités, de la cellule à l’organisme, ou éventuellement à la colonie. Il recueille à cet égard tout l’héritage de la biologie pré-darwinienne, et notamment des savants allemands de l’époque romantique, qui s’étaient passionnés pour ces thématiques : il cite d’ailleurs une phrase de Goethe en tête de chaque chapitre.
Ce poids considérable de la biologie idéaliste conduit Haeckel à concevoir l’évolution comme un progrès, ce qui est très éloigné de l’idée de variation aléatoire chère à Darwin. Haeckel tend plutôt à voir dans la phylogénie (histoire évolutive des organismes) une tendance à la complexification, même si celle-ci est pour lui la conséquence d’une loi matérielle et non l’expression d’une finalité. Paradoxalement, l’évolution haeckelienne est ainsi plus proche de celle de Lamarck, qui lui aussi concevait l’évolution comme une complexification sans finalité, que de celle de Darwin. Cela apparaît notamment dans la théorie de la récapitulation, appelée par Haeckel la « loi biogénétique fondamentale », qui constitue l’idée la plus emblématique de son ouvrage.[...]
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Écrit par
- Stéphane SCHMITT : directeur de recherche au CNRS
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Média