GÊNES
La République aristocratique (1528-1797)
Née sous la protection de l'Espagne, la République aristocratique devait pendant près de deux siècles, rester fidèle à sa protectrice. Les deux États ont besoin l'un de l'autre. Chassés du Levant, les Génois ont reporté en Occident, et particulièrement dans la péninsule Ibérique, leur activité commerciale et bancaire. Ils consentent des avances à court terme à la monarchie espagnole, remboursables à l'arrivée des galions d'Amérique ; ils se chargent des transports de fonds de l'Espagne aux Pays-Bas, achètent la ferme des impôts, l'exploitation des gabelles ; ils vendent en Espagne à haut prix les produits de l'Europe entière, effectuent les règlements internationaux aux foires de change d'Anvers, de Besançon et de Plaisance. Installés en grand nombre à Séville, ils frètent leurs vaisseaux et participent au fructueux trafic des Indes. Malgré les banqueroutes chroniques des souverains espagnols, les Génois s'approprient une grande part des richesses d'Amérique. Comme l'écrivait le poète F. de Quevedo, « l'or (nous dirions l'argent) naît aux Indes, meurt en Espagne, est enseveli à Gênes ». Il n'y reste pas inemployé : les patriciens construisent leurs demeures princières de la Strada Nuova (1551-1591) ; les titres de la dette publique ou « luoghi » de San Giorgio sont très recherchés ; les prêts consentis à tous les souverains d'Europe rapportent en intérêts dix fois plus que les revenus des deux seules industries génoises notables, celles de la soie et du papier. La création d'un port franc (1613) achève de donner à Gênes une prospérité qui fut l'objet de bien des convoitises.
À ses trop puissants voisins, la France et la Savoie, Gênes ne peut opposer qu'une politique défensive et conservatrice, appuyée sur une diplomatie très active. Chassée de Gênes en 1528, la France cherche à y reprendre pied ; elle soutient plusieurs complots contre la République aristocratique (1547, 1602, 1648), aide en Corse la révolte de Sampiero de Bastelica (1563-1567). Au siècle suivant, lorsque Gênes fournit des navires à l'Espagne et prétend obtenir pour ses doges des honneurs royaux, Louis XIV, irrité par ces insolences, fait bombarder la ville (1684) et exige des excuses du doge en personne. En dépit de cette humiliation, la République, constatant le déclin de l'Espagne et les ambitions de la Savoie, se rapproche de la France au début du xviiie siècle. Avec l'aide militaire française, elle croit pouvoir préserver son autorité en Corse, insurgée depuis 1729, mais est contrainte d'abandonner l'île à sa protectrice (1768).
Les rapports avec la Savoie sont plus difficiles encore. Le duché cherche à s'étendre jusqu'à la mer, au détriment de Gênes, avec laquelle il entre en conflit (1622 et 1672). À la faveur de la guerre de succession d'Autriche, il souhaite annexer le marquisat de Finale, génois depuis 1713. Par peur des Piémontais, Gênes assiégée préfère se rendre aux Autrichiens (1746). Elle les expulse deux mois plus tard, lors de l'insurrection où s'illustre un garçonnet, Balilla. Jusqu'aux campagnes de Bonaparte, le Piémont menace l'existence même de la République.
Celle-ci a pu vivre deux siècles et demi grâce à la stabilité des institutions créées par Andrea Doria en 1528 et amendées en 1576, après l'échec d'un soulèvement populaire. Gênes est dirigée par la grande noblesse, inscrite au Livre d'or de la ville. Toutes les fonctions – celles du doge, des membres du Sénat et des deux Conseils – sont électives et temporaires. Avec le temps, la force de ces institutions finit par s'émousser. Beaucoup de nobles se désintéressent de la vie politique l'extinction de nombreuses familles vide les rangs de l'aristocratie surtout, à partir des années 1750,[...]
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Écrit par
- Michel BALARD : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Michel ROUX : professeur émérite
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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