GÉNÉTIQUE ET DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE
Quiconque observe des êtres humains est frappé par leurs points communs et leurs différences. Points communs et différences trouvent d’abord leur origine dans la génétique. Considérons deux espèces très proches : le Pan troglodytes (chimpanzé) et l’Homo sapiens (notre espèce). Leurs séquences d’ADN (acide désoxyribonucléique, support du matériel génétique) divergent d’environ 1 p. 100. C’est très peu et pourtant beaucoup, puisque ce 1 p. 100 suffit à définir deux espèces bien distinctes. Voilà qui permet de comprendre pourquoi des individus d’une même espèce possèdent tant de caractéristiques propres à l’espèce à laquelle ils appartiennent. Prenons l’exemple de l’acquisition du langage parlé, souvent considérée comme l’accomplissement le plus extraordinaire du petit Homo sapiens. Les grandes étapes sont les mêmes pour tous les bébés, allant du gazouillis jusqu’aux phrases de plusieurs mots (environ à vingt-quatre mois). Mais, si les étapes sont identiques, les différences sautent aux yeux. Ainsi, les enfants de deux ans les plus précoces (environ 10 p. 100) utilisent plus de 500 mots, alors que les moins précoces (10 p. 100) en utilisent moins de 100. La marge de variation du développement typique est grande et, dans de rares cas, on entre dans le domaine de la pathologie (certains enfants ne parlent pas du tout). Comme expliquer cette marge de variation ? Peut-on invoquer des causes génétiques et (ou) des causes environnementales ? Il était tentant de raisonner en termes dichotomiques, les causes génétiques excluant les causes environnementales, et vice versa. Ce discours simpliste a été contesté par des scientifiques dès le milieu du xxe siècle. Les données des années 2010 ont permis de montrer qu’ils avaient pleinement raison.
L’héritabilité
Pour mettre en évidence les effets des gènes sur le développement psychologique, on a dû se contenter pendant des décennies de méthodes indirectes basées sur l’observation de populations particulières, alliées à des méthodes statistiques sophistiquées. Une méthode très utilisée consiste à comparer des jumeaux monozygotes (MZ : « vrais ») et des jumeaux dizygotes (DZ : « faux »). Les jumeaux MZ proviennent de la division d’un seul ovule fécondé par un seul spermatozoïde. Ils ont donc les mêmes gènes ou plutôt les mêmes formes allèles (forme que prend un gène sur un chromosome). Les jumeaux DZ proviennent chacun de la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde. Les DZ possèdent, en probabilité, 50 p. 100 de leurs allèles en commun. Du point de vue génétique, ils sont donc comme des frères et sœurs tout venant. Des centaines d’études attestent que le développement physique et psychologique des paires MZ est beaucoup plus semblable que celui des paires DZ. Pour évaluer le poids des gènes dans cette différence entre MZ et DZ, on utilise un outil statistique (l’héritabilité) fondé sur la décomposition des différences entre individus.
L’héritabilité est une estimation de la part due à la variabilité génétique dans les différences individuelles, telles qu’on les observe dans une population, à un moment donné, avec un outil de mesure donné – par exemple, un test d’intelligence, un questionnaire de personnalité, ou n’importe quelle autre mesure, comme le poids à la naissance, la force musculaire ou le volume du cerveau. Traduite en pourcentage, l’héritabilité varie entre zéro et cent. Pour l’intelligence, elle est élevée chez les adultes (entre 44 et 85 p. 100, selon le modèle statistique et le plan d’analyse utilisés) et plus faible pour les traits de personnalité. L’héritabilité varie non seulement en fonction des tests utilisés, mais aussi en fonction des caractéristiques de l’échantillon de participants avec lequel elle a été estimée. Ainsi, l’héritabilité de l’intelligence est plus faible chez les enfants et les adolescents que chez[...]
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Écrit par
- Michèle CARLIER : professeure émérite de psychologie, université d'Aix-Marseille
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