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GÉNOCIDE

Il est des concepts dont la seule évocation impose le silence, et des silences dont l'obstination suffoque la mémoire. Il est des faits dont la pondération, la dénonciation, le simple récit semblent exiger de l'histoire qu'elle se refasse, de la philosophie qu'elle se refonde, du droit qu'il se redise. « Génocide » est l'un d'eux.

Énoncé au singulier, il convoque philosophie et droit, et force chacun à en lire autrement l'histoire. Libératrice par définition, la philosophie cohabite des siècles durant avec le génocide sans aucunement s'en offusquer. Normatif par essence, le droit étend son domaine en soumettant la force, mais légitime, des siècles durant, le génocide avant de l'exécrer et de le condamner.

Énoncés au pluriel, les génocides déclenchent des polémiques malsonnantes parmi ceux qui, en politique ou en droit, en historiographie ou en idéologie pure et dure, s'établissent aujourd'hui, comme jadis théologiens et sorciers, en détenteurs du vrai, se croyant honorés de ce formidable privilège par l'opinion publique. On polémique sur la nature des faits et l'épaisseur des temps comme si la condamnation de ces crimes et la distribution des blâmes à leurs auteurs exigeait de herser à peine le champ de l'histoire sans en retourner profondément le sol à la charrue.

Une définition toute récente

Réalité pluriséculaire, le génocide devient mot dans la littérature juridique en 1944, entre dans la technicité du langage faisant loi à Nuremberg en 1945 et, le 11 décembre 1946, fait l'objet d'une résolution des Nations unies, les cendres de la Seconde Guerre mondiale à peine dispersées. Cette résolution inspire à son tour la Convention internationale adoptée le 9 décembre 1948 et entrée en vigueur le 12 janvier 1951, en pleine guerre froide.

Nuremberg, acte d'accusation du 8 octobre 1945 : les grands criminels de guerre allemands « s'étaient livrés au génocide délibéré et systématique, c'est-à-dire à l'extermination de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés afin de détruire des races ou classes déterminées de populations et de groupes nationaux, raciaux ou religieux ».

Londres, première session de l'Assemblée générale des Nations unies, janvier 1946 : l'Assemblée générale approuve à l'unanimité les principes de droit international reconnus par la cour de Nuremberg et par le statut de cette cour. Deuxième partie de cette même session : l'Assemblée générale explicite ce qu'il convient d'entendre par « génocide ».

Cette explicitation étant devenue loi, en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, il est capital de rappeler, mot à mot, comment les nations définirent ce néologisme. Voici :

« Les parties contractantes,

Considérant que l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, par sa résolution 96 (I) en date du 11 décembre 1946, a déclaré que le génocide est un crime du droit des gens, en contradiction avec l'esprit et les fins des Nations Unies et que le monde civilisé a condamné ;

Reconnaissant qu'à toutes les périodes de l'histoire le génocide a infligé de grandes pertes à l'humanité ;

Convaincues que pour libérer l'humanité d'un fléau aussi odieux la coopération internationale est nécessaire,

Conviennent de ce qui suit :

Article Ier. Les parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir.

Article II. Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie politique, universités de Paris-I et de Toulouse-II

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Camp de Birkenau-Auschwitz (Pologne) - crédits : Insight Guides

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