ARMÉNIENS GÉNOCIDE DES
Les fondements idéologiques de l'extermination
Si le darwinisme social, idéologie transposant aux sociétés humaines les principes de sélection des espèces du monde animal dont les chefs jeunes-turcs étaient imprégnés, les a convaincus que la construction d'une nation turque passait par l'élimination des Arméniens, il n'en demeure pas moins que le Comité central jeune-turc a aussi envisagé de laisser en vie certaines catégories d'Arméniens pour mieux les intégrer dans son programme de turquisation de l'Anatolie. Enfants en bas âge, de préférence les fillettes, et jeunes filles ou femmes étaient destinés, dans leur esprit, à renforcer la « nation turque », après un rituel d'intégration au groupe dominant emprunté à la religion musulmane. Selon la formule d'un officier jeune-turc, les jeunes filles arméniennes ayant un certain niveau d'instruction étaient prédestinées à accélérer la modernisation de la famille et de la société turques. Les multiples cas recensés montrent que l'idéologie nationaliste jeune-turque relève plus d'une haine destructrice contre l'identité collective d'un groupe que d'un racisme à prétention biologique tel que le pratiquera plus tard le régime nazi.
Un autre aspect du projet jeune-turc concerne la captation des biens collectifs et individuels des Arméniens ottomans, assortie d'une tentative de formation d'une classe moyenne turque d'entrepreneurs, quasi inexistante jusqu'alors. Ce programme, baptisé Millî |ktisat (« économie nationale »), théorisé par l'idéologue du régime Ziya Gökalp, constituait le complément socio-économique du crime. Il a servi à la fois de justification et d'incitation. Il apparaît qu'il a surtout profité à l'élite jeune-turque et au parti-État, mais aussi à toutes les couches de la société, et notamment à ceux qui se sont engagés dans la mouvance jeune-turque, sans forcément partager l'idéologie extrémiste de sa direction. L'appât du gain a sans doute beaucoup contribué à radicaliser des hommes qui, dans des circonstances autres, ne seraient jamais passés à l'acte.
L'inventaire des principaux responsables de ce génocide, fonctionnaires civils et militaires ou notables locaux, permet d'affirmer que les personnes les plus lourdement impliquées dans l'exécution de ces violences de masse étaient souvent issues des cercles les plus marginaux et, il faut le souligner, des minorités originaires du Caucase, en particulier des Tcherkesses et des Tchétchènes, ainsi que de tribus kurdes nomades (plus rarement des villageois sédentaires). Les neuf membres du Comité central, et plus particulièrement le ministre de l'Intérieur, Mehmed Talât, et celui de la Guerre, Ismaïl Enver, ainsi que le Dr Ahmed Nâzim et le Dr Bahaeddin Chakir ont été les principaux instigateurs de l'extermination de la population arménienne (ils ont été condamnés à mort par contumace en 1919 par la cour martiale de Constantinople).
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Écrit par
- Raymond KÉVORKIAN : docteur et HPR en histoire, directeur de la bibliothèque Nubar, professeur associé à l'institut français de géopolitique de l'université Paris VIII
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