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TUTSI GÉNOCIDE DES

La participation populaire

Dès ses premières missions de « défense de la sécurité de la République » menées contre les Tutsi, dans les années qui ont suivi l'indépendance, l'armée rwandaise a sollicité et reçu l'aide des populations civiles. L'appel au peuple à entrer en guerre contre les Inkotanyi a été lancé en 1992. Concevoir et diffuser la propagande n'a pas suffi pour mettre le peuple « au travail ». Il a aussi fallu s'organiser : dénonciation du multipartisme présenté comme une action de l'ennemi pour provoquer la division des Hutu ; création d'une milice, les Interahamwe, organisation solidaire de gens qui, littéralement, « attaquent ensemble » ou « partagent les mêmes buts ». Ils sont décrits dans tous les témoignages comme une organisation ouverte, qui ne se cache pas et qui se présente elle-même comme une jeunesse du parti présidentiel, le MRND.

Conçue pour redonner au MRND la jouvence et la force face à la concurrence des nouveaux partis, cette jeunesse a d'abord été recrutée parmi les « fils à papa » de Kigali, parmi les jeunes cadres de la fonction publique, des sociétés d'État ou privées. Petit à petit cependant, les Interahamwe furent investis de la mission d'assurer la sécurité des meetings du MRND ainsi que celle de ses cadres contre les provocations des nouveaux partis impatients d'en découdre avec le régime de Habyarimana et de mettre fin à la domination des Hutu du Nord sur le reste du pays qu'il incarnait. Le recrutement fut dès lors étendu à des voyous et à tout le pays. En outre les nouvelles recrues reçurent un entraînement et un équipement militaires. Ce sont eux qui au matin du 7 avril déclenchèrent les massacres partout dans le pays.

En effet, la stupeur provoquée par les massacres commis le 7 avril au matin à Kigali, en raison de leur violence, de leur cruauté et de la personnalité des victimes, a occulté le fait que la violence s'est répandue dans tout le pays le jour même. De nombreux barrages ont été érigés et gardés par des jeunes en colère sur l'ensemble du territoire. Seule la préfecture de Butare a échappé à la terreur des deux premières semaines. Sur les collines, le mode opératoire est simple. Il consiste d'abord à rassembler le plus grand nombre de personnes avant de procéder au massacre. Des bandes armées de bâtons et de machettes parcourent la campagne en pillant les habitations des Tutsi et en hachant et tuant tous ceux qu'elles attrapent. Continuellement harcelés, les fugitifs quittent peu à peu les cachettes individuelles pour se regrouper dans des centres administratifs ou paroissiaux les plus proches. C'est là que bourgmestres, gendarmes et miliciens organisent les exécutions avec l'appui des populations qu'ils ont embrigadées. Celles et ceux qui tentent d'aller ailleurs, là où ils ne sont pas connus, sont rattrapés sur les barrières dressées sur les chemins et sur les routes. Une barrière est un tas de pierres ou un tronc d'arbre posé en travers d'une voie de passage. Elle est gardée par des hommes et notamment par des jeunes armés tenant d'une main la machette et de l'autre un petit poste de radio. La barrière est le lieu symbolique de la sélection entre ceux qui peuvent vivre et ceux qu'il faut faire disparaître. Sur la barrière, les piétons et les automobilistes sont obligés de s'arrêter et de présenter leur carte d'identité. Les hommes de la barrière ont pouvoir de vie ou de mort. Ils peuvent violer et tuer celles et ceux dont les cartes d'identité indiquent qu'ils sont tutsi. Les bas-côtés de la barrière sont des lieux de viol et de massacre, toujours jonchés de cadavres. Les auteurs des attaques à domicile, ceux qui érigent et contrôlent les barrières, les participants aux tueries sont davantage que des civils[...]

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Génocide au Rwanda - crédits : Scott Peterson/ Liaison/ Getty Images

Génocide au Rwanda

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