- 1. La guerre du FPR et la campagne de haine
- 2. Le déclenchement du génocide
- 3. L'organisation du « travail »
- 4. La participation populaire
- 5. La RTLM ou l'état-major de la parole
- 6. Une « guerre » pour toute justification
- 7. L'opération Turquoise ou les ambiguïtés d'une opération militaro-humanitaire
- 8. La justice à l'épreuve
- 9. Bibliographie
TUTSI GÉNOCIDE DES
L'opération Turquoise ou les ambiguïtés d'une opération militaro-humanitaire
Le 22 juin 1994, le Conseil de sécurité de l'ONU votait sur proposition française une résolution autorisant l'intervention sur le territoire du Rwanda d'une force armée, à vocation « humanitaire » et neutre, de 2 500 hommes, placés sous commandement français. La communauté internationale revient au Rwanda après avoir assisté de loin, pendant plus de deux mois, et sans réagir à la commission d'un génocide. La voie choisie n'est pas heureuse. La France présentait plusieurs avantages. Elle avait la volonté d'y aller. Elle en avait les moyens. Elle connaissait le pays. D'octobre 1990 à décembre 1993, la France avait soutenu le gouvernement de Habyarimana dans son effort de guerre contre les rebelles du FPR. Notamment, à travers l'opération Noroît déclenchée le 4 octobre 1993, les militaires français avaient été au côté de FAR, donnant des conseils à l'état-major et assurant les formations des corps spécialisés, dont la Garde présidentielle et les unités de la défense civile. Cela était un inconvénient majeur. Avec les FAR, la « camaraderie » pouvait compliquer l'exercice de la neutralité. Quant aux soldats et dirigeants du FPR, ils pouvaient difficilement imaginer que la France ait retiré son appui aux FAR. Enfin, l'opération était trop tardive. Le génocide était accompli. En outre, elle se déroulait dans la zone de repli du GIR et des FAR devant l'avancée du FPR.
On s'interroge encore aujourd'hui sur le bilan de Turquoise. Si elle a sécurisé le camp de réfugiés de Nyarushishi en préfecture de Cyangugu, elle a été incapable de prévenir le massacre des réfugiés de Bisesero, alors qu'un groupe de ses hommes les avait repérés et avait pu constater qu'ils étaient menacés. En revanche, il est clair que la zone humanitaire créée dans le sud-ouest du Rwanda a fonctionné comme une pompe aspirante pour des milliers de Hutu parmi lesquels de nombreux génocidaires craignant la vengeance des soldats du FPR. On sait en outre que les éléments du GIR et les cadres de son administration, les officiers des FAR et de la gendarmerie ont utilisé cette zone humanitaire pour sortir en bon ordre du Rwanda et s'établir sur les rives congolaises du lac Kivu, à Bukavu et à Goma. On sait enfin que Turquoise a permis très vite une inversion de la réalité. Les camps de réfugiés créés à la faveur de Turquoise au sud-ouest du Rwanda ou dans l'est du Congo ayant attiré de nombreux journalistes et ONG, l'espace médiatique fut inondé d'images et de récits de populations en mouvement ou entassées, mourant de faim, de soif et du choléra, avec pour conséquence un début d'ensevelissement de la réalité du génocide sous la misère des camps.
Ce fut en effet l'épisode le plus médiatisé de la crise rwandaise. Dans son sillage et à la faveur de moyens aéroportuaires, des facilités de déplacements sur le terrain et des garanties de sécurité offerts par les militaires français, de nombreuses chaînes de télévision et de radio, des agences de presse et les grandes rédactions de la presse écrite envoient des reporters à Goma et à Bukavu. Ceux-ci découvrirent des scènes d'apocalypse. Sans logements, vivant dans une indescriptible promiscuité et dans des conditions d'hygiène aggravées par les difficultés d'accès à l'eau, les réfugiés sont très vite confrontés à une épidémie de choléra. La générosité du monde trouvait matière à se déployer. Par la magie de l'information et surtout de l'image, la souffrance qui se voit et se montre vient occulter l'extermination qui a frappé, loin des caméras, des milliers d'enfants, de femmes et d'hommes pour le seul motif qu'ils étaient nés tutsi. L'urgence était d'enterrer les morts et de distribuer les soins, l'eau et la nourriture ; et non de s'interroger[...]
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Écrit par
- Marcel KABANDA : consultant à l'U.N.E.S.C.O.
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