GÉNOCIDE
Aperçu historique
Si l'hypothèse est bonne qu'il convient d'attendre la pénétration dans les esprits et dans les textes des notions cruciales examinées à l'instant pour pouvoir parler en toute propriété de génocide, il sera pertinent de réduire aux ères moderne et contemporaine non le temps des génocides mais celui de la légitimité de la qualification juridique par ce vocable des pratiques énumérées à l'article II de la Convention ; et il ne le sera pas moins de ne point dédouaner de leurs tricheries criminelles les puissances qui, pour des intérêts utilitaires évidents – chacun des génocides est en effet très utile pour la puissance qui le commet –, ont tout fait pour réduire la portée de la notion alors même qu'elles en élaboraient et proclamaient l'universelle valeur.
Trois génocides qualifiés pour combien d'autres oubliés ?
En arrière-plan, dès lors, la continuité cauchemardesque des « génocides occultés de 1492 à nos jours », pour reprendre le sous-titre de l'admirable travail de Rosa Amelia Plumelle-Uribe. « De 1492 », car même si la réflexion fondatrice de Vitoria est de quelques décennies postérieure au premier voyage des caravelles de Colomb, et de la découverte de l'océan Pacifique vingt ans après, elle est provoquée par un problème redoutable pour le monde blanco-biblique : rendre compte, en schéma monothéiste « révélé », d'un monde absent de la « révélation » et intégrer ses habitants à la normalité du « droit naturel » qui corrobore l'éternelle vérité de cette même « révélation ». On connaît la suite sur toute l'étendue du continent du couchant et, par ricochet, sur toute celle du continent austral. « À nos jours », oui, jusqu'aujourd'hui. À chacun de consulter son journal habituel...
Beaucoup plus près de nos jours que des aurores de l'ère moderne, voici des sommets indiscutés de l'abjection : les Jeunes-Turcs et leur tentative d'élimination des Arméniens, les nazis et celle d'éliminer les Juifs, les Tsiganes et les Slaves, les Hutu au Rwanda et celle d'éliminer les Tutsi.
En dehors de ces trois désastres, on est loin de l'unanimité sur la qualification en génocide des crimes contre l'humanité qui ont ensanglanté tant de régions, décimé tant de groupes, déporté tant de peuples, tant et tant tué, bestialisé, asservi. À un extrême, ceux qui s'indignent qu'on puisse comparer quoi que ce soit à la Shoah et qui dénoncent, au nom de sa spécificité, la lettre et l'esprit de la Convention, qui, par excès, banaliserait le sens du mot génocide. À l'autre, ceux qui, comme Israel W. Charny, directeur de l'Institute on the Holocaust and Genocide de Jérusalem, critiquent par défaut cette même Convention parce qu'elle ne permet pas d'englober sous le terme juridique par elle défini des pratiques qui en relèveraient. Ainsi faut-il parler de « meurtre de masse », de « carnage », de « massacre », de « violation des droits de l'homme », d'« anéantissement », de « pogrom », mais pas de génocide lorsqu'on évoque des tueries massives, des incendies de villages, l'élimination de communautés accomplis sans toutefois l'intention claire d'éliminer un peuple entier ? L'« euthanasie » des malades mentaux allemands, première cible des éliminations nazies, entre-t-elle sous l'extension du génocide ou lui échappe-t-elle parce que ces malades n'ont pas été tués à cause de l'appartenance à une race, mais sacrifiés pour en préserver une « sans tares » ? Affamer à mort l'Ukraine, achever les Kalmouks ou les Allemands de la Volga, déporter des peuples entiers – les Balkars, les Tchétchènes, les Tatars de Crimée, les Ingouches, les Karatchaïs –, accusés tous de sabotage[...]
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Écrit par
- Louis SALA-MOLINS : professeur émérite de philosophie politique, universités de Paris-I et de Toulouse-II
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