GÉNOCIDE
Aperçu juridique
Au bout des parcours idéologique et historique, il apparaît que le regard porté par la société sur le génocide n'est pas d'une exemplaire netteté. Le droit imposera-t-il un jour, au xxie siècle et sur le plan international ce qu'il a réussi très laborieusement et trop ponctuellement à concrétiser au cours du xxe siècle ?
La lente progression du droit
La première mention de « crimes contre l'humanité » en droit international apparaît dans une déclaration britannico-franco-russe de 1915 condamnant les massacres des populations arméniennes de l'Empire ottoman. Dix ans auparavant, le génocide dont furent victimes les Herero, dans le Sud-Ouest africain, actuelle Namibie, n'avait dérangé personne dans le monde dit civilisé. La Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, dont le génocide, est adoptée par l'Assemblée générale de l'O.N.U. le 26 novembre 1968. La Convention européenne sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, dont le génocide, et des crimes de guerre, s'inspirant du texte évoqué à l'instant, est votée à Strasbourg en 1974. Son but : ôter l'éventuel bénéfice d'une possible prescription à quiconque sera accusé d'un ou plusieurs des crimes nommés. Un bon quart de siècle après ces dates et les bouleversements que l'on sait, une Cour pénale internationale permanente est enfin installée pour que cette imprescriptibilité produise des effets juridiques repérables et incontestables. Les choses avancent ou piétinent selon le bon vouloir des États et leur souci premier de préserver intègre leur souveraineté, à laquelle ils veillent avec une ferveur particulière lorsque des violences altèrent leur rythme quotidien : crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocides, ce sont, quasi nécessairement, des crimes d'État. Il suffit de le rappeler pour saisir l'impasse.
Le droit a parlé néanmoins, en louvoyant entre juridictions nationales et internationales, sans attendre l'avènement de cette Cour dont la compétence est incontestable. Précisons encore le cadre juridictionnel. Le 9 décembre 1948 l'Assemblée générale de l'O.N.U. approuvait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, déterminant en son article VI que « les personnes coupables de génocide seront traduites devant les tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis ou devant la cour internationale qui sera compétente ». C'est parce que celle-ci tarde trop à venir qu'en 1985 le rapport Whitaker souligne qu'il « serait avantageux d'habiliter les tribunaux de tous les pays à juger les coupables de génocide réfugiés à l'étranger et de produire un protocole donnant compétence aux tribunaux de pays autres que ceux où le crime de génocide avait été commis ». L'élargissement de ces suggestions aux crimes contre l'humanité est facile. Nous restons encore dans le monde des vœux, sauf dans le cas remarquable de la Belgique.
Le droit aura pourtant suivi ses propres voies dans le sillon des avancées vers une internationalisation effective, constante, ordinaire, et ce en instruisant, jugeant et condamnant des génocides et des crimes contre l'humanité dans les instances judiciaires nationales. Des poursuites judiciaires internationales ont eu lieu contre les génocides perpétrés en Allemagne (1939-1945), en ex-Yougoslavie (1992-1994), au Rwanda (1994). Le tribunal militaire international de Nuremberg a jugé pour l'Allemagne ; un tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a été institué en mai 1993 par le Conseil de sécurité de l'O.N.U., il a été installé à La Haye ; un tribunal de même statut pour le Rwanda a été institué en novembre 1994 et installé à Arusha, en Tanzanie[...]
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Écrit par
- Louis SALA-MOLINS : professeur émérite de philosophie politique, universités de Paris-I et de Toulouse-II
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Média
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