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GÉNOMIQUE Génome artificiel

La synthèse chimique d'un chromosome bactérien complet

L'équipe qui a effectué ces travaux, c'est-à-dire une cinquantaine de personnes dont un fort noyau de bio-informaticiens, a choisi de travailler sur le génome de mycoplasmes – bactéries qui possèdent le plus petit nombre de gènes dans le monde bactérien –, lequel est très proche de celui qui a été déduit d'expériences d'évolution bactérienne in vitro visant à réduire un génome à son essentiel. Le génome de Mycoplasma mycoides, séquencé auparavant dans ce même laboratoire, comprend 1 078 millions de bases.

Dans un premier temps, le génome de la bactérie a été digitalisé : la séquence de type ATCG a été transformée en une série de 1 et 0. Ensuite, cette série a été découpée en 1 078 « cassettes », codant chacune pour une séquence d'ADN longue de 1 080 nucléotides, conçues de sorte que chaque extrémité se superpose à la suivante par une séquence de 80 nucléotides, ce qui permet leur assemblage par hybridation entre séquences complémentaires d'ADN. Ces fragments, initialement synthétisés chimiquement par la compagnie Blue Heron Technology, ont été assemblés 10 par 10 dans la levure, puis les fragments obtenus (10 000 nucléotides) ont subi le même sort. Les morceaux de 100 000 nucléotides issus de cette opération ont ensuite été assemblés en un fragment unique de 1 078 000 nucléotides dans un chromosome artificiel de levure, grâce à une technique mise au point au milieu des années 1990, et amplifiés dans cet organisme. Ce génome complet de Mycoplasma mycoides a ensuite été isolé de la levure et introduit dans la bactérie receveuse Mycoplasma capricolum, dont les enzymes de restriction (qui coupent l'ADN étranger) avaient été inactivées par mutagenèse. L'ADN de la cellule receveuse est ainsi détruit par les enzymes de restriction de Mycoplasma mycoides. Utilisant tout d'abord la machinerie du receveur, l'ADN de Mycoplasma mycoides l'a ensuite, au cours des générations successives, progressivement remplacée par ses propres composants. La nouvelle bactérie produite, dont tous les composants sont issus des gènes du chromosome de Mycoplasma mycoides, présente les caractéristiques de cette dernière. Elle en diffère par des tags d'identification destinés à prouver que ce génome est synthétique (ainsi que les noms des auteurs et des citations littéraires, codées dans l'ADN) et par la délétion de gènes codant pour des substances pathogènes. Elle a été appelée JCVI-Syn.1 (pour John Craig Venter Institute et Synthetic)

Ce travail, qui a débuté en 1995, n'a pas été facile. Les premières tentatives d'introduction du chromosome bactérien, lors de la phase ultime de l'expérience, ont échoué en raison d'une erreur dans la séquence synthétisée. Cette synthèse avait d'ailleurs été précédée de celle d'un autre mycoplasme, Mycoplasma genitalis, en 2008, au cours de laquelle les procédures avaient été rodées. À chaque phase de ce travail, de nouveaux outils technologiques et de nouvelles méthodes ont dû être mis au point et testés sur des systèmes modèles. Ces différentes étapes ont été publiées, ce qui ne signifie nullement que cette expérience sera aisée à reproduire rapidement. Chacune de ces publications constitue ainsi un jalon méthodologique et respecte les exigences du groupe de bioéthique de l'université de Pennsylvanie qui avait, en 1999, examiné le projet et demandé précisément des publications intégrales, sans doute à cause des conflits antérieurs du laboratoire de Craig Venter à propos du génome humain.

Cette expérience, montrant que la conception d'un génome entièrement nouveau est théoriquement réalisable, ouvre la voie à la génomique synthétique, laquelle débouche sur une biologie d'organismes entièrement[...]

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  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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