GÉNOMIQUE Génome artificiel
Des enjeux économiques considérables
Le John Craig Venter Institute a ainsi effectué la première synthèse d'un chromosome complet fonctionnel. Toutefois, cette synthèse n'a pas été purement chimique, puisqu'elle a nécessité le recours à la levure de bière, organisme vivant, pour l'assemblage des fragments et l'amplification du chromosome bactérien final. Le chromosome ainsi obtenu n'est en fait rien d'autre qu'une séquence d'ADN inerte en elle-même. En effet, la machinerie de transcription et de traduction qui lui donne son sens a été ici fournie par une bactérie receveuse du même genre, mais modifiée génétiquement. Il ne s'agit donc pas dans ce cas de vie synthétique, mais du meilleur usage possible d'une combinaison de synthèse chimique et d'exploitation de ressources biologiques. On retiendra donc une authentique prouesse technologique dans la synthèse de morceaux géants d'ADN fonctionnels. Il n'y avait d'ailleurs pas de question scientifique à proprement parler dans la démarche du John Craig Venter Institute. Il ne s'agit en fait que d'une étape vers des projets biotechnologiques de grande ampleur supposant la manipulation et la synthèse de génomes entiers.
Pour arriver à un tel résultat, l'intelligence, le savoir-faire et la coordination ne suffisent pas : il faut également financer les travaux. Craig Venter s'est appuyé, ces dernières années, sur la société Synthetic Genomics Inc., laquelle a financé à hauteur de 30 millions de dollars ce projet, un montant confirmé par le Wall Street Journal au moment de la publication de l'article princeps. Cette somme, dont la majorité des institutions publiques dans le monde ne pourront jamais disposer pour un projet de biologie, vient s'ajouter aux ressources propres du John Craig Venter Institute. Le coût réel de l'opération n'a pas été vraiment chiffré mais, du fait de son étalement dans le temps, il serait plus proche de la centaine de millions dollars. Il n'est pas anodin de signaler que Craig Venter est lui-même fondateur et vice-président de Synthetic Genomics Inc : financement et recherche fonctionnent donc ici quelque peu en circuit fermé.
La propriété intellectuelle des méthodes ainsi mises au point est, au minimum, partagée entre le John Craig Venter Institute et Synthetic Genomics Inc. Or cette dernière société est, depuis juillet 2009, associée à ExxonMobil Research and Engineering Company dans le cadre d'un projet à long terme d'utilisation d'algues vertes photosynthétiques pour la production de biocarburants à partir du dioxyde de carbone de l'air et de l'énergie lumineuse. Les organismes naturels ne réalisent pas ces processus avec une grande efficacité. Il sera nécessaire de construire un génome approprié pour que les rendements deviennent intéressants. Une large part des compétences acquises par le John Craig Venter Institute trouvent leur application dans ce projet. De la même manière, la fabrication de bactéries cette fois-ci entièrement nouvelles, destinées à la dégradation d'hydrocarbures, relève parfaitement des compétences de cet institut. Des projets à plus long terme s'appuient sur une contribution grandissante des chromosomes artificiels dans la production de nombreuses substances d'intérêt biologique, médical ou industriel, ainsi que dans le domaine alimentaire. On remarquera enfin que le John Craig Venter Institute n'a pas cessé de s'intéresser de près à l'exploitation des données du génome humain, dans le cadre d'une médecine prédictive que Craig Venter s'applique à lui-même (et qui peut être facilement généralisée dans la mesure où la détermination d'un génome humain ne coûte plus que 5 000 dollars) et d'une pharmacopée spécifique qui en serait dérivée. Ce dernier projet intéresse également la fondation Bill & Melinda Gates.[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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