GENRE ET HISTOIRE DE L'ART
Fluidifier les identifications
Le postmodernisme est, dans les années 1990, l’objet de critiques. On lui reproche notamment d’avoir contribué à la disparition du féminisme activiste en supprimant la catégorie « femme » et en produisant des œuvres désincarnées. Le refus du plaisir participe au déni de la puissance d’agir des femmes.
Les historiennes étudient la représentation des masculinités, pour « obliger les hommes à dire leur masculinité là où ils la font passer pour de l’humanité », selon Lisa Tickner. Abigail Solomon-Godeau analyse l’iconographie des idéaux masculins dans l’art néoclassique français et les circonstances de sa disparition. Amelia Jones associe le système identitaire masculin à la fonction de l’artiste. Elle souligne l’ambivalence de la relation des hommes à la masculinité. Ainsi certaines performances des années 1960-1970 perturbent le rapport entre le symbole du pouvoir (le phallus), l’organe génital (le pénis) et l’artiste, tandis que d’autres le renforcent. Richard Meyer s’intéresse au tabou de la représentation explicitement sexuelle de corps masculins, lieu de projection des fantasmes des artistes hétérosexuelles. D’autres analyses utilisent conjointement les outils de genre et de classe, notamment pour comprendre la situation des artistes afro-américaines. Ce dernier point est renouvelé par l’apport des études postcoloniales, qui prennent en compte les identités à la croisée du genre et des questions de domination nationale.
Les théories queer, qui poursuivent la déconstruction, s’opposent aux normes sociales qui instituent le genre, les sexes et les sexualités dans une vision binaire. Elles soutiennent au contraire une vision pluraliste des identités sexuelles et sexuées. La praxis queer mine les dispositifs normatifs de genre et l’idée que le physiologique détermine le psychologique, car il a notamment conduit aux réassignations de sexe. Le mouvement envisage l’identité dans sa multiplicité, à la manière d’une structure mouvante. Plus qu’une identification liée à l’attirance sexuelle, la transsexualité met l’accent sur une identité qui provient d’un rapport à soi-même, sans modèle préconçu.
Le travestissement et la mise en scène viennent favoriser une déliaison entre la masculinité, d’une part, et la domination, l’héroïsme, l’universalisme, l’autorité, d’autre part. Les performances de genre mettent en scène la fluidité des représentations par rapport aux rôles imposés. En s’affirmant, la multiplicité des politiques sexuelles devient un vecteur de diffusion d’autres modèles, comme l’illustrent les séries photographiques de Catherine Opie, qui s’intéresse à des communautés californiennes hors normes. Judith Halberstam évoque dans InA Queer Time and Place (2005) les représentations queer en art. Elle applique les débats sur les relations entre avant-gardes et sous-cultures propres à l’histoire de l’art aux arts visuels queer, en insistant sur les représentations de genre ambiguës ou transgenres des artistes Del LaGrace Volcano, Linda Besemer, J.A. Nicholls ou Jenny Saville. Les corps polymorphes sont les lieux de multiples politisations possibles.
Dans le cadre de l’histoire de l’art, les pensées féministes, de genre et queer forment ainsi de vastes corpus, étroitement liés aux contextes intellectuels de leur production, qui mènent à une autre constitution de la discipline, à un enrichissement des savoirs et à plus grande liberté d’être soi. Les années 1970 marquent une découverte et une valorisation de la création et de l’expérience spécifiques des femmes avec la mise en place d’un réseau parallèle. Les années 1980 sont caractérisées par un passage à la préférence théorique et aux déconstructions identitaires, mais aussi par le retour rétrospectif sur les siècles passés, l’intégration des personnes de couleur et la lutte des mouvements homosexuels.[...]
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Écrit par
- Fabienne DUMONT : docteure ès histoire de l'art, professeure d'histoire de l'art à l'École européenne supérieure d'art de Bretagne
Classification
Médias